Quel est le lien entre le tsunami qui a frappé le pourtour de l'Océan indien en 2004, le cancer d'une belle-sœur, et la lutte contre les abus des sociétés de crédits entreprise par quelques juges en charge de dossiers de surendettement ?
Emmanuel Carrère. Et plus précisément le besoin d'écrire qu'ont fait naître en lui certaines de ses rencontres.
A quelques mois d'intervalle, l'auteur est confronté à la mort.
Celle de Juliette, quatre ans, puis celle de Juliette, trente ans.
La première est la fille d'un jeune couple dont l'auteur et sa compagne Hélène, en vacances au Sri Lanka, viennent de faire la connaissance. Emmanuel Carrère et Hélène sont sur le point de rompre, il s'agit là de leurs dernières vacances ensemble. La disparition de la fillette, emportée par la vague, le soutien qu'ils apportent à ses parents, et la réflexion sur leur relation que fait naître la conscience d'avoir échappé de justesse à la mort, les rapprochent.
La deuxième est la sœur d'Hélène. La cancer qui, une dizaine d'années auparavant, l'avait laissée boiteuse, récidive, cette fois mortellement.
Emmanuel Carrère se place, pour construire son récit, en spectateur de ces drames, et surtout de leurs résonances sur les proches des victimes. Il assiste au chagrin qui frappe les parents et le grand-père de la petite Juliette, à la façon discrète mais courageuse dont chacun tente de ménager la peine de l'autre, il constate que l'amour que se portent les survivants est une force immense, qui permet de surmonter le pire.
Il recueille les témoignages des proches de Juliette, l'adulte, entend l'ardeur et l'humanité avec lesquelles elle exerçait son métier de juge. Il admire le courage de son mari, cet homme si humble, si calme, et pourtant si solide, qui assume son devoir de père avec une touchante simplicité. Il relate l'amitié quasi fraternelle qui l'unissait à son ex collègue juge, lui aussi rescapé d'un cancer, et qui la comprenait si bien...
Tout cela se déroule naturellement, au fil des rencontres que fait Emmanuel Carrère, provoquées par ces deux décès. Il se fait, avec pudeur, le porte-parole de ces individus anonymes, ordinaires, et les rend remarquables, par sa capacité à capter ce qui fait d'eux des êtres uniques, mais dans lesquels on se reconnaît. Sans mélodrame, presque sans empathie, il décrit leurs attitudes, rapporte leurs paroles, les sentiments qu'ils expriment parfois, et n'a pas besoin d'en faire plus : leur sincérité, dépouillée de tout artifice littéraire -qui aurait été inutile- nous bouleverse, l'auteur nous permettant ainsi d'avoir l'impression de toucher du doigt un peu de nous-mêmes.
Et si sa démarche est mue par un impératif d'honnêteté, de justesse, quant à la véracité des faits, il n'en reste pas moins que "D'autres vies que la mienne" doit surtout sa valeur à la plume de son auteur, dont la perspicacité et la maîtrise narrative font de ce roman un texte très marquant.
Quel est le lien entre le tsunami qui a frappé le pourtour de l'Océan indien en 2004, le cancer d'une belle-sœur, et la lutte contre les abus des sociétés de crédits entreprise par quelques juges en charge de dossiers de surendettement ?
Emmanuel Carrère. Et plus précisément le besoin d'écrire qu'ont fait naître en lui certaines de ses rencontres.
A quelques mois d'intervalle, l'auteur est confronté à la mort.
Celle de Juliette, quatre ans, puis celle de Juliette, trente ans.
La première est la fille d'un jeune couple dont l'auteur et sa compagne Hélène, en vacances au Sri Lanka, viennent de faire la connaissance. Emmanuel Carrère et Hélène sont sur le point de rompre, il s'agit là de leurs dernières vacances ensemble. La disparition de la fillette, emportée par la vague, le soutien qu'ils apportent à ses parents, et la réflexion sur leur relation que fait naître la conscience d'avoir échappé de justesse à la mort, les rapprochent.
La deuxième est la sœur d'Hélène. La cancer qui, une dizaine d'années auparavant, l'avait laissée boiteuse, récidive, cette fois mortellement.
Emmanuel Carrère se place, pour construire son récit, en spectateur de ces drames, et surtout de leurs résonances sur les proches des victimes. Il assiste au chagrin qui frappe les parents et le grand-père de la petite Juliette, à la façon discrète mais courageuse dont chacun tente de ménager la peine de l'autre, il constate que l'amour que se portent les survivants est une force immense, qui permet de surmonter le pire.
Il recueille les témoignages des proches de Juliette, l'adulte, entend l'ardeur et l'humanité avec lesquelles elle exerçait son métier de juge. Il admire le courage de son mari, cet homme si humble, si calme, et pourtant si solide, qui assume son devoir de père avec une touchante simplicité. Il relate l'amitié quasi fraternelle qui l'unissait à son ex collègue juge, lui aussi rescapé d'un cancer, et qui la comprenait si bien...
Tout cela se déroule naturellement, au fil des rencontres que fait Emmanuel Carrère, provoquées par ces deux décès. Il se fait, avec pudeur, le porte-parole de ces individus anonymes, ordinaires, et les rend remarquables, par sa capacité à capter ce qui fait d'eux des êtres uniques, mais dans lesquels on se reconnaît. Sans mélodrame, presque sans empathie, il décrit leurs attitudes, rapporte leurs paroles, les sentiments qu'ils expriment parfois, et n'a pas besoin d'en faire plus : leur sincérité, dépouillée de tout artifice littéraire -qui aurait été inutile- nous bouleverse, l'auteur nous permettant ainsi d'avoir l'impression de toucher du doigt un peu de nous-mêmes.
Et si sa démarche est mue par un impératif d'honnêteté, de justesse, quant à la véracité des faits, il n'en reste pas moins que "D'autres vies que la mienne" doit surtout sa valeur à la plume de son auteur, dont la perspicacité et la maîtrise narrative font de ce roman un texte très marquant.
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