Le Guinea Lord, homme démoniaque revêtu de l’armure d’invincibilité, se rend sur l’île de Scarfa afin de rencontrer la Mater Obscura, visqueuse, osseuse et dentue reine-mère des Moriganes, hautaine, vénéneuse, opiniâtre, clairvoyante, infiniment dangereuse et inhumainement cruelle. Le Guinea Lord se fait remonter les bretelles car il n’a pu s’emparer de la fée Sanctus, morigane défroquée, connaissant des secrets précieux qu’elle pourrait transmettre aux hommes. Sanctus est la fée à abattre et le Guinea Lord son tueur patenté. Bien qu’invulnérable, il a failli bien qu’il ait envoyé au tapis Sill Valt, Chevalier du Pardon pourtant aguerri. Seamus, novice, mortellement blessé par Eirell, ancien compagnon ayant versé du côté obscur, âme damnée pleine de muscle et de haine, a été sauvé in extremis par la fée Sanctus. Seamus va être initié par les chevaliers bien qu’ils sachent qu’il les trahira. Son mentor, Sill Valt souhaite retrouver le Guinea Lord mais il cherche une faille dans la cuirasse d’invulnérabilité. Il interroge le démon Cryptos de plus en plus incontrôlable, moqueur, enfumant ses révélations. Les parties qui vont se jouer vont être rudes et les rencontres férocement mortelles. Les Moriganes sont dans l’ombre et tirent les ficelles.
L’histoire que Jean Dufaux a imaginée respecte les règles du genre. La fantasy des Complaintes est pleine d’épées et de sorcières. La quête de Seamus est digne d’un chevalier d’antan, courtois, empli d’amour pour l’élue de son cœur, la fée Sanctus. La magie joue de concert. La trahison est en tapinois. La folie guette. Les démons rôdent. La mort a une sale tête. Le lecteur pourrait trouver le temps long sur une trame convenue mais le récit est totalement maîtrisé, parfaitement mis en scène par Philippe Delaby, exceptionnel dessinateur dont la finesse et la précision du trait éblouissent. La mise en couleur de Bérangère Marquebreucq est au diapason de la virtuosité du dessinateur, transparente, sculptant la lumière, distillant les atmosphères dans les rouges, les bleus et les gris. L’ensemble est d’un niveau graphique rare. Le soin apportés aux décors, à l’échelé d’une vague, à la profondeur d’une forêt font des Complaintes des landes perdues une œuvre forte, s’émancipant de la griffe de Rosinski, talentueux artiste à l’origine de la saga.

L’aventure continue. La complainte des landes perdues reprend du souffle avec l’arrivée de Dame Gerfaut, châtelaine rapace aux serres sans pitié et de son sinistre fils, tortueux et torturé, le prince consort. Le programme de la vieille sorcière pas chouette est simple : faire boire par la ruse un philtre d’amour à la belle et limpide Sioban afin qu’elle tombe éperdument éprise du prince Gerfaut, l’épouse, perde sa virginité et enfante dans la douleur. Auparavant, Sioban et le chevalier Seamus ont rencontré le courageux et dévoué Kyle of Klanach dont la famille a été bannie depuis que son père refusât de rejoindre Wulff, père de Sioban, à la grande bataille de Nyr Lynch. L’amour semble naître entre Kyle et Sioban mais la vieille prophétie réversible du mal au cœur de l’amour semble à nouveau opératoire. Le conte de fée vire au vinaigre. Les ouki sont servis au miel à un prince Gerfaut qui en raffole. Lady O’Mara a conçu un fils avec lord Blackmore. L’amour, la jalousie, le complot, la trahison, le courage, la perfidie se conjuguent indéfiniment puis donnent corps et vérité aux personnages de ce 3e volume souvent noyé de pluie et de ténèbres. Rosinski excelle toujours dans la mise en image d’un récit banal et très balisé que Jean Dufaux a néanmoins bien conçu. Les couvertures des albums réalisées à la peinture sont toutes des réussites. On peut toutefois sentir ça et là un dessin parfois légèrement négligé à l’image d’une Dame Gerfaut dont le visage esquissé approche de la caricature. Le tout sent un peu le réchauffé et la redite mais la cuisson mijote un mets comestible à défaut d’être goûteux.