Ce recueil de nouvelles de Spôjmaï Zariâb, le premier traduit et publié en français, remonte à 1988, lorsque notre connaissance de la littérature d'Afghanistan – et peut-être de la littérature persane contemporaine tout entière – était si modeste que l'introduction, par le traducteur, possède la généralité d'un texte destiné à des lycéens. J'ignore s'il s'agit aussi des nouvelles les plus anciennes de l'auteure ou de celles qui firent l'objet d'un choix pour être les plus percutantes, les plus aptes à impressionner et à subjuguer le lecteur d'une écrivaine alors inconnue : le fait est que je les trouve les plus puissantes que j'ai lues d'elle et aussi les plus difficiles à classer, à analyser selon leur forme ou selon un ou plusieurs thèmes. Un critique a dû les regrouper en nouvelles sur la femme dans la vie et la femme dans la mort. Sincèrement, cette catégorisation très vague me laisse perplexe : j'y trouve comme seule justification la circonstance que dans les douze nouvelles qui suivent la première, éponyme, la narratrice est une femme ; dans « La plaine de Caïn », en revanche, l'histoire d'un vieil homme est contée par un narrateur indéterminé.
Ce qui rassemble plutôt ces nouvelles, d'une force évocatrice incomparable, c'est leur noirceur cauchemardesque, l'indétermination des temps et des lieux, leur caractère littéralement et authentiquement EFFROYABLE, tantôt dans le réalisme, tantôt dans un symbolisme délirant, parfois dans l'absurde. La folie est souvent proche, ou bien une angoisse venant des tréfonds d'âmes tourmentées. L'espérance est absente, interdite, inconcevable. La poésie des images répétées comme un refrain à différents moments de la nouvelle est déjà utilisée avec maîtrise.
Structurellement, l'usage des récits parallèles et enchevêtrés n'est ici encore qu'esquissé dans une ou deux nouvelles, ce qui autoriserait à penser que l'auteure a expérimenté cette technique ultérieurement. L'impression ou l'illusion d'autobiographisme est également moindre dans ce volume que dans les successifs. Deux thèmes seront de nouveaux explorés : l'enseignement et l'aliénation dans un bureau de l'administration ; un autre est creusé dans plusieurs nouvelles de ce volume : l'errance sans but dans les rues de la ville, qui entraîne la protagoniste vers des rencontres néfastes. La dernière nouvelle, « Le caftan noir », cri déchirant sur la condition féminine, vaut mille de nos stéréotypes faciles sur la burqa et la réclusion domestique.
Cit. :
« Alors le caftan noir s'agitait, les manches prenaient leur élan et les poings s'abattaient sur le visage d'Aïcha ; son crâne entier s'enflammait. Elle tournait alors son regard vers sa fille... mais ne croyez pas que pendant ce temps toute pensée s'arrêtait à l'intérieur du caftan noir ! Il en sortait par le bas deux gros pieds mal équarris qui venaient s'abattre de toute leur force sur la poitrine d'Aïcha, sur ses reins et ses cuisses. Elle se tordait de souffrance pendant que le caftan noir continuait de s'adonner à ses gesticulations frénétiques. » (p. 192)
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