Beyrouth, début des années 80. La ville est le théâtre d’incessants bombardements, sise dans un pays où s’affrontent palestiniens, syriens et israéliens, juifs, chrétiens et musulmans…où les horreurs de la guerre civile culmineront lors du massacre de Sabra et Chatila.
C'est ici que vivent Georges et Bassam, deux jeunes amis de culture chrétienne qui se connaissent depuis l’enfance. Bassam, dont le père est mort, vit avec sa mère et travaille au port, tout en rêvant de partir vivre à Rome et Georges, orphelin, partage son temps entre un emploi au casino et des contacts de plus en plus fréquents avec les milices chrétiennes.
Bassam est le narrateur de ce récit où relation et dialogues sont indissociés (la ponctuation habituellement associée aux dialogues, tels les tirets ou les guillemets, étant inexistante), où malgré les descriptions blasées d’un quotidien qui nous paraît monstrueusement banal, affleurent une sensibilité et un sens de la poésie remarquables.
C’est tout d’abord le portrait d’une ville que nous livre l’auteur, une ville de poussière, de sang, de pénurie d’eau, de souffrances et qui, après « 10 000 bombes », finit par coller à l’image que pendant des années nous en ont donnée les médias : une ville dont l’essence même serait d’être bombardée, de laquelle nous ne sommes habitués à imaginer que des ruines...
Et pourtant, une autre Beyrouth émerge de cette cité ravagée : une ville internationale, multiculturelle, où circulent "cigarettes américaines et chats chrétiens", où les « petites voitures européennes suintent le pétrole capitaliste que les travailleurs nigérians exploités tirent du sous-sol », où se sont succédés maints envahisseurs, des romains qui l’ont fondée aux turcs qui ont réduit à l’esclavage la grand-mère du narrateur.
Ames de cette ville, nos deux héros sont passés sans transition de l’enfance à l’âge adulte dans sa représentation la plus sordide, traînant continuellement avec eux un lourd passif de violences et de restrictions. Paradoxalement, la façon dont ils participent à cette guerre semble s’inscrire dans la continuité de leurs jeux d’enfants, sans qu’ils s’y investissent vraiment, en se disant qu’une fois cette guerre terminée, ils iront boire un verre avec leurs adversaires !
Un premier roman aux multiples qualités, dont l’écriture, à la fois riche et efficace, sert un récit très instructif…
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