José Saramago est un auteur qui m'effrayait un peu jusqu'à ce que je lise "L'aveuglement". Son style particulier, fait de longues phrases à la ponctuation a priori fantaisiste, où dialogues et narration se suivent sans transition, me faisait craindre une lecture fastidieuse. Or, il n'en fut rien : quelques pages ayant suffit à m'accoutumer à son écriture, j'ai ensuite réellement apprécié le ton et l'histoire étonnante de ce roman.
On retrouve dans "Les intermittences de la mort" ce style propre à l'auteur, mais ce n'est pas son seul point commun avec "L'aveuglement". En effet, le postulat de départ y est à peu près similaire : José Saramago imagine là aussi qu'un événement vient bouleverser l'ordre habituel des choses. Ce fait extraordinaire est en l'occurrence le suivant : dans un pays quelconque, le premier jour d'une année quelconque, la mort a décidé de cesser son activité !
Les instances politiques, religieuses, économiques, doivent rapidement faire face aux problèmes d'intendance mais aussi aux questions philosophiques et théologiques que pose la disparition de la mort. L'Eglise, notamment, se voit privée de son principal argument en faveur de la conversion à la foi : sans mort, plus de résurrection, la promesse d'un au-delà perdant elle aussi tout son sens.
D'un point de vue pratique, l'euphorie liée à la perspective d'une vie éternelle fait vite place pour certains à de réelles préoccupations. Car si la mort a décidé d'interrompre son activité, le temps qui lui continue de s'écouler fait craindre à long terme les conséquences du vieillissement de la population, entre autres en terme d'accueil, de soins, et de viabilité d'une société dont la proportion de citoyens improductifs augmenterait de manière exponentielle.
A l'échelle individuelle, ces questionnements renvoient à l'attitude que chacun adopterait dans ce contexte. A l'idée d'avoir indéfiniment à charge des parents qui n'en finiraient pas de vieillir et de s'affaiblir, et sachant que le même sort nous attend... qu'en est-il des notions de solidarité et d'assistance ?
L'auteur évoque toutes ces considérations sur un ton presque facétieux, avec une sorte de fausse ingénuité qui lui permet de pointer ironiquement du doigt les limites et les travers des autorités qui nous gouvernent. Il se moque de la langue de bois politicienne, de l'étroitesse des dogmes religieux.
Comme dans "L'aveuglement", il donne l'impression d'être un apprenti sorcier devenu maître d'une partie du monde sur laquelle il tente une expérience dont il se fait ensuite le spectateur, jouant sur le registre de la candeur tout en se montrant narquois. Et ce faisant, il inclut le lecteur dans son observation, l'interpellant, le prenant à témoin, renforçant ce sentiment de détachement qu'il semble prendre vis-à-vis de son récit.
Malgré tout l'intérêt que peut présenter un tel sujet, et malgré l'aspect parfois amusant que revêt le ton de José Saramago, cette lecture m'a laissée plutôt sceptique. Les deux tiers du roman se composent de réflexions d'ordre général dont je me suis à certains moments lassée, et revêtent un caractère anonyme et impersonnel qui ont fait flancher mon attention... Excepté dans sa dernière partie, "Les intermittences de la mort" ne comporte pas de personnages auxquels s'attacher, ni d'histoire à laquelle se raccrocher.
J'ai souffert également de certaines phrases trop longues, et à mon avis inutilement alambiquées. Pour conclure, je dirais que mes craintes se sont cette fois révélées fondées et que j'ai parfois trouvé cette lecture fastidieuse. Il est probable que si j'avais découvert José Saramago avec ce roman, je n'aurais pas persévéré...
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