« Le testament… » est un roman à plusieurs voix :
- Paltiel Kossover, poète juif né en Russie au début du XXème siècle, depuis la cellule d’une prison soviétique, couche sur papier le récit de sa vie, des événements et des choix qui l’ont mené en ce lieu.
- Grisha, son fils, découvre ce témoignage posthume d’un père qu’il n’a pas connu, puisqu’il n’était encore qu’un bébé lorsqu’il fût arrêté. Il a grandi en union soviétique près de sa mère, envers laquelle il semble éprouver des sentiments ambivalents, car entachés de rancune; au commencement du récit, il arrive, seul, en Israël, où il a décidé d’émigrer. Grisha est muet, pour une raison que le lecteur ne découvrira qu’en dernière partie du roman.
- Viktor Zupanev, veilleur de nuit de l’immeuble où logeaient la veuve et le fils de Paltiel Kossover à Krasnograd, est celui qui a remis à Grisha le testament de son père. Le garçon, avec qui il s’était lié d’amitié, se remémore à intervalles réguliers ce que lui racontait Viktor à propos du poète, qu’il a connu dans de mystérieuses circonstances.
Ce témoignage est un formidable voyage à travers la 1ère moitié du XXème siècle, dans une Europe en proie aux bouleversements historiques : Paltiel vit les pogroms et les prémices de la révolution bolchévique en Roumanie, la montée du nazisme en Allemagne, la guerre civile en Espagne, les dérives du stalinisme en URSS. Il relate sa participation à ces événements, et le dilemme auquel il est régulièrement confronté : continuer à exercer sa foi juive, ainsi qu’il l’a promis à ses parents, ou la renier pour s’engager totalement dans l’idéologie communiste, ainsi que l’ont fait nombre de ses amis. Faut-il prier pour hâter la venue d’un improbable messie, ou tout mettre en œuvre pour tenter d’améliorer le sort des plus pauvres ici et maintenant ? En effet, en ces temps de velléités révolutionnaires, la foi religieuse et l’idéal socialiste sont jugés incompatibles.
Et puis, peu à peu, viennent les désillusions. D’abord en Espagne, où les partisans des deux camps s’avèrent capables d’une barbarie similaire, ensuite lors de la « disparition » mystérieuse de membres du parti jugés subversifs sur des motifs dérisoires, et enfin vient le comble du désarroi, lorsque les populations russes laissent l’occupant allemand massacrer les juifs malgré –je cite- « 40 ans d’éducation communiste ». En découle une douloureuse prise de conscience : dans tous les pays, quel qu’en soit le régime, les juifs, considérés en fonction de leur appartenance religieuse et non en tant qu’individus, sont en butte au mépris et à l’intolérance. Face à ce constat, Paltiel décide d’assumer définitivement ses racines et sa culture judaïques, et de faire preuve d’empathie envers ceux issus de cette même culture, seul recours face à l’omniprésence de l’antisémitisme. Et si cela fait de lui un coupable aux yeux du régime stalinien, il est prêt à en subir les conséquences.
Pour Grisha, le fils du poète, l’enjeu est plus personnel. En dehors des considérations religieuses ou politiques, il s’agit de se construire l’image d’un père. Et, au milieu de la folie et des dérives des hommes, par ce témoignage à la fois digne et poignant, c’est un individu intelligent et sensible qu’il découvre (et nous avec), simplement avide de justice et de paix.