Ugolin s’enrichit avec ses œillets. Manon, sa mère et Baptistine la Piémontaise vivent en quasi autarcie dans la baume où coule une source pérenne. Manon grandit et embellit au grand air. Ugolin l’épie et la découvre se baignant nue. Captivée, il tombe sous son charme. Commence alors son calvaire d’autant que Manon a surpris une conversation entre deux villageois venus poser des pièges dans les parages. Elle comprend les malversations des Soubeyran. Sa révulsion première se métamorphose en haine viscérale. Ugolin va tenter de séduire celle qu’il a ruinée (financièrement en s’accaparant son domaine et mentalement en condamnant à mort son père). Cherchant d’abord à incendier la propriété d’Ugolin, Manon découvre accidentellement la source du village et décide à son tour de la détourner, privant toute la population de la précieuse eau de vie. Les rivalités villageoises s’exacerbent et les langues se délient. Bernard Belloiseau, le jeune instituteur flaire et perçoit peu à peu l’envergure du drame qui se noue.
Immédiatement captivé par le second volet du diptyque « L’eau des collines », « Manon des sources », le lecteur ne peut que s’immerger dans la tragédie œdipienne qui anéantit la famille Soubeyran. Le Papet n’a eu de cesse de mettre à mort son propre fils, Jean de Florette, avec un aveuglement que la cupidité paysanne éclaire en soubassement. Il ne comprendra ses sinistres manigances perpétrées en sous-main par son neveu qu’avec les ultimes révélations de Delphine, amie de Florette. La lettre testamentaire du Papet adressée à Manon fait jaillir l’eau des yeux : « Pense un peu que par malisse jamet j’ai voulu m’approcher de lui. Sa voix je l’ai pas connu, ni sa figure. Jamais de prêt j’ai vu ses yeux que peut être c’était ceux de ma mère et j’ai vu que sa bosse et sa pène, tout le mal que je lui ai fait. Alors tu comprends que je me languis de mourir pasque a côté de mes idées qui me travaille même l’enfer cet un délice. » La seconde perversion frappant les Soubeyran tient à l’amour fou d’Ugolin pour Manon, sa petite-cousine. Si Ugolin pressent le drame, le Papet, finaud, en ressent toute l’horreur métaphysique. La force et l’intérêt majeur des deux romans émanent du destin tragique des Soubeyran, oncle et neveu que la consanguinité a minés. Ugolin est éperdu d’amour. Ses rites magiques pour amener Manon consentante chez lui sont à la fois naïfs et bouleversants. L’adaptation cinématographique de Claude Berri (1986), pour fidèle qu’elle soit à l’œuvre romanesque, ne doit son aura qu’aux interprétations magistrales de Daniel Auteuil (Ugolin) et Yves Montand (César Soubeyran dit Le Papet). Manon et l’instituteur quant à eux frisent le ridicule à travers leur inconsistance. Dans le roman, la « domestication » de Manon, la sauvageonne des garrigues est assez insupportable et sa réconciliation avec les villageois dont la lâcheté et l’intérêt mêlés inexcusables semble incompréhensible (ils connaissaient tous l’existence de la source mais aucun, hormis Pamphile, le menuisier n’a tenté de la révéler à Jean Cadoret s’exténuant pieds nus, portant les jarres d’eau sur sa bosse). Cette couardise collective prétextant qu’on ne se mêle pas des affaires des autres, en l’occurrence celle des Soubeyran, oncle et neveu est absolument impardonnable. La fin conventionnelle et fade est rehaussée par les mots de braise du Papet. Il aurait été intéressant de connaître la réaction des Belloiseau Manon et Bernard vis-à-vis de cette pure tragédie antique.
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