Comme un entomologiste penché au-dessus d’insectes humains pris dans les filets poisseux de l’existence, le lecteur de Ripple songe qu’il contemple une des facettes de son âme. On ne lâche pas facilement le récit graphique du dessinateur canadien Dave Cooper qui colle à la peau et s’insinue dans les replis de l’esprit. Underground, la BD l’est doublement par sa capacité à forer les opercules de la conscience. Le narrateur, lui-même dessinateur de BD, tente de reconstituer par écrit, trois ans après, sa rencontre inoubliable avec Tina, modèle adipeux et boutonneux, canines saillantes, payée pour poser nue. Il espère ainsi s’extirper d’un manque qui le ronge. La première rencontre et la première séance de pose sont décisives : « C’était comme une réaction chimique dans mon cerveau. Comme si j’avais été arbitrairement choisi par un Cupidon particulièrement vicelard. » Le voici piégé dans ses fantasmes, possédé par Tina, dépossédé de lui-même. Son excitation est telle qu’il jouit instantanément, incapable de satisfaire sexuellement Tina. Celle-ci le baptise Speedy Gonzalez, assurant ainsi une mainmise définitive sur lui. L’amour frustré engendre la jalousie puis l’abandon. Il n’y a rien à comprendre. La BD donne à sentir l’indicible. Le format carré, les teintes monochromes, le dessin hachuré singularisent encore plus une œuvre hors norme, remuante, voire émouvante. Avec beaucoup de justesse, Dave Cooper ne cache rien de l’incommunicabilité, du désir et de la solitude. Il met sur le tapis une histoire qui fait tache et qui marque, les fauteuils comme les esprits, durablement.
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