Les Bastides Blanches, village provençal imaginaire, constituent le fief d’une tragédie ourdie par l’écrivain et cinéaste Marcel Pagnol. D’abord mise en scène en 1952, l’histoire est ensuite développée en roman en 1962. Le premier volume du diptyque, Jean de Florette, est centré sur la mise à mort programmée du fada des villes. Ugolin, épaulé par César Soubeyran, son oncle, dit « le Papet » veut s’accaparer pour une bouchée de pain la terre de Pique-Bouffigue qu’une belle source, les Romarins, négligée par le braconnier, arrose. Ugolin souhaite développer la culture des œillets qui réclame une terre riche et beaucoup d’eau. A la mort de Pique-Bouffigue, les deux compères décident de boucher la source afin de déprécier le domaine et de décourager d’éventuels héritiers. A la surprise des Soubeyran, Jean Cadoret, unique fils de Florette récemment décédée, prend possession du mas. L’homme des villes, bossu de surcroît, à l’aide de son instruction, de son intelligence, de sa détermination, des guides et manuels et d’un amour sans fard pour la nature va entreprendre l’élevage des lapins et des cougourdes. Il entraîne dans son aventure champêtre sa femme et sa jeune fille, Manon.
Tout a déjà été dit à propos de ce livre bouleversant : les dialogues fins, précis, vivants, imagés, percutants ; les descriptions lapidaires mais incroyablement visuelles ; la finesse et la fluidité du style ; l’humour constant ; les caractères cernés et creusés ; les personnages crédibles, émouvants ; l’histoire qu’une tragédie aux rouages inexorables rend poignante, intemporelle. A la relecture délicieuse de ce classique, j’y ai aussi vu une opposition délectable entre le savoir livresque du citadin et la connaissance empirique du paysan. La mort de Jean de Florette crève le cœur. Il s’échine et se tue littéralement à la tâche. Il pourrait réussir in extremis mais le sort finit par se liguer contre ce démiurge qui aurait tant voulu bâtir sa vie avec l’eau des collines. Quand le cri de Manon retentit dans les collines, « un cri désespéré, strident et monotone » alors qu’elle vient de découvrir la duperie des Soubeyran, le lecteur est transpercé d’effroi mais le Papet et Ugolin, à la vue de la source délogée de son bouchon de ciment échangent des « clins d’yeux et des radieux sourires ».
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