[Mise en appétit et lecture grâce à l'ancienne note de l'amie Swann que je remercie vivement ici.]
Une fois quitte de l'idée que ce livre soit une biographie fictionnelle de Xanthippe – l'épouse de Socrate passée à l'histoire comme l'emblème de la mégère – ou bien un polar historique dont elle serait l'enquêtrice – argument de marketing de la quatrième de couverture, il nous reste entre les mains une très intéressante relecture de l'Histoire politique d'Athènes pendant les quarante dernières années du Ve siècle av. J-Ch., soit de l'apogée à la chute de l'époque de Périclès. Relecture moderne, ou modernisée ? – je ne saurais le dire [mais sans doute Swann pourrait-elle répondre ?] – au sens où l'on croit retrouver dans l'Antiquité les mêmes problématiques que nous vivons aujourd'hui, et qui sont peut-être juste intemporelles... : la question de la manipulation du consentement « démocratique » et de l'inconstance de l'opinion publique, celle de l'ambition régalienne liée à l'exercice du pouvoir et des conséquences néfastes qu'elle entraîne, celle des dommages provoqués par les inégalités de fortune et de genre.
En effet, de ce « siècle de Périclès », je n'avais moi-même guère plus que les réminiscences scolaires « romantiques » que l'auteur dénonce dans la postface : l'idée doucereuse que la démocratie, invention nouvelle, aurait apporté, avec davantage d'équité (une réforme agraire dont il n'est pas du tout question ici), un miraculeux essor des arts (architecture), des lettres (théâtre) et de la pensée (philosophie) et même sans doute un triomphe militaire contre Sparte, s'il n'y avait eu quelques traîtres du calibre d'Alcibiade... Et de Socrate : l'image platonicienne – aux deux sens du terme – d'un homme parfait, accompli, modèle de vertu, incompris au point d'être injustement condamné à mort. Or Messadié conteste de façon très convaincante, point par point, ces images d'Épinal : Athènes est tiraillée entre une démocratie incarnée par des gouvernants pas du tout démocrates et l'oligarchie appuyée par l'étranger, les inégalités sont criantes et la justice très inique, la guerre use et abîme le moral et les mœurs, la Cité, complètement imbibée de superstitions, persécute les philosophes pour impiété et dénie à tous la liberté d'expression, Périclès est imbu de sa personne, Alcibiade et Critias sont de fieffés salauds, Xanthippe une femme intelligente qui, à l'instar des deux autres personnages féminins principaux – Lethô et Aspasie – chacune à sa façon, est une féministe militante : les trois contestent par leur comportement le rôle qui leur est socialement assigné ; enfin Socrate ? Oui, Socrate... l'homme probe mais pantin de sa passion amoureuse pour Alcibiade – et quoi de pire pour un philosophe ? le pédagogue déçu d'avoir failli avec quasiment tous ses disciples ? las de la cité ingrate à laquelle il a tant donné ou bien peut-être ennemi de la démocratie, toujours entouré d'aristocrates et dans le fond incapable de se libérer de l'héritage de la « kalokagathia », il considérait peut-être le pouvoir du peuple (à moins que ce ne fût le propre de Platon) au mieux comme un idéal réalisable dans un avenir lointain, au pire comme une chimère dangereuse ; bref : quelqu'un dont l'action en justice aurait été tout à fait justifiée et la peine capitale, soit une forme de suicide non assumé, soit même une punition bien méritée pour s'être trop compromis avec des politiques franchement peu recommandables.
Ce dernier point constitue ma plus grande frustration dans ce livre. Si le texte se termine par la très belle ouverture que représente le dialogue imaginaire entre Diogène et Platon, c'est-à-dire par un juste questionnement sur la postérité de Socrate, le problème de son procès et de sa peine est trop vite survolé, et je trouve paradoxal que, en présence sans doute de sources textuelles relativement plus abondantes, l'auteur n'en rende pas compte de façon plus analytique, ni ne s'exprime davantage sur ce qui permettrait un bilan du personnage.
Cit. :
Incipit : « Toutes les femmes sont belles. Du moins à un moment ou l'autre de leur vie, et plus ou moins longtemps. L'attachement que la beauté leur témoigne dépend de celui qu'elles lui portent. »
« Avant de s'endormir, il se demanda confusément si les seules formes de rapports entre deux êtres humains n'étaient pas les mots, les coups et le sperme. » (p. 201)
« Il avait jadis fondu ensemble Athènes, Alcibiade et la philosophie dans un même rêve de beauté. C'était au temps de Périclès. En près d'un tiers de siècle, tout s'était délité. Athènes était, en fin de compte, une masse d'humains inconstants, oscillant entre la démocratie et l'oligarchie, Alcibiade un cabot, et la philosophie n'avait pas plus à voir avec la réalité qu'une fleur de rave avec le terreau. » (p. 312)
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