Je crois que je ne m'attendais pas à ça...
N'ayant lu de Margaret Atwood que "La servante écarlate", sans doute m'imaginais-je -bêtement- retrouver un récit dans la même veine, oscillant entre roman d'anticipation et chronique intime...
Bon, si "Lady Oracle" n'a rien d'un roman d'anticipation, l'intime, en revanche, y tient une bonne place. Autre point commun -oui, cela fait tout de même déjà deux- avec "La servante écarlate", c'est que nous y sommes guidés par la voix d'une femme, personnage central du récit.
L'histoire commence en quelque sorte par sa fin : la narratrice, Joan Foster, une quadragénaire canadienne, s'est exilée dans un petit village italien après avoir mis en scène sa soi-disant mort par noyade, pour des raisons qui ne nous sont pas explicitées d'emblée. Elle y loue une maison qu'elle a déjà occupée lors d'un séjour touristique effectué avec Arthur, qu'elle évoque souvent, qui semble avoir été son compagnon.
Voilà pour le présent.
Car ensuite, Joan nous emmène plusieurs décennies en arrière, à l'époque où elle n'était encore qu'une petite fille, puis se remémore les différentes étapes de son existence, éprouvant un besoin désespéré de comprendre comment et pourquoi elle se retrouve seule, à des milliers de kilomètres de son pays (le Canada) et de ses proches, dont la plupart la croient morte.
Enfant obèse et maladroite, Joan a, dès son plus jeune âge, subi une guerre sournoise l'opposant à une mère qui la considérait comme un "accident".
Une guerre menée à coups de kilos, la fillette comprenant intuitivement qu'il s'agissait là d'une arme efficace pour faire honte à sa mère (qui a tenté par tous les subterfuges imaginables de la faire maigrir), de la mettre face à un échec. A moins que son surpoids n'ait représenté une forme de protection, un moyen de se faire trop imposante pour qu'on puisse l'oublier ?
Quant au père, absent jusqu'au cinq ans de sa fille car engagé en Europe dans la seconde guerre mondiale, il brillera dès son retour par sa morne indifférence.
Les seuls moments de joie et de réconfort de son enfance furent ceux passés avec sa tante Lou, que son indépendance et son exubérance faisaient passer pour une originale.
Joan gardera toute sa vie des séquelles de son obésité et de ses relations violentes avec sa mère. Parvenue à l'âge adulte, pourtant amincie, elle continue d'être hantée par une image d'elle-même humiliante, inspirée de son apparence antérieure, qu'elle ne parviendra jamais à refouler totalement. Sa vie de femme ne sera jamais réellement épanouissante, plombée par le secret dont elle entoure le cauchemar de ses jeunes années.
A ce secret s'en ajoute un autre : elle écrit sous un nom de plume et en toute confidentialité une série de romans mêlant suspense et eau de rose, fait qu'elle préfère cacher à son compagnon, et à leur entourage, composé d'activistes intellectuels de gauche, par crainte de leur probable condescendance. Elle mène ainsi plusieurs existences parallèles, chacune étant respectivement peuplée de personnages différents.
Joan Foster est en somme une femme qui cultive de multiples facettes parce qu'elle ne parvient pas à s'accepter dans son "entièreté". L'isolement qui fait suite à sa disparition est l'occasion, non pas de s'interroger sur celle qu'elle est vraiment, mais d'essayer de rassembler ces différentes facettes pour les faire coexister et les assumer toutes ensemble.
J'ai beaucoup aimé l'écriture de Margaret Atwood, juste dosage d'efficacité et d'élégance. La complexité de son héroïne, la justesse et la précision avec lesquelles elle évoque ses failles, rendent le récit touchant.
En revanche, je n'ai pas bien compris l'intérêt d'intégrer dans cette histoire la fuite de Joan et son pseudo décès, ainsi que d'autres éléments qui ont probablement pour but d'enrichir la trame romanesque de l'intrigue (je pense notamment, pour ceux qui auraient lu "Lady Oracle", à l'épisode de la bombe), mais qui à mon avis étaient dispensables, dans la mesure où ils apportent plus de confusion que de densité au roman. Ce point a quelque peu gâché mon plaisir, et j'avoue avoir du coup trouvé ce titre moins passionnant que "La servante écarlate".
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