Il existe des livres, comme celui-ci, qui n'ont l'air de rien : une centaine de pages, une couverture quelconque, un titre anodin... Mais c'est souvent quand on ne s'y attend pas que l'on se retrouve estomaqué. Et justement L'autobus est l'un de ces petits romans dont l'aspect inoffensif dissimule en réalité une force tragique et une puissance critique insoupçonnées.
L'intrigue paraît banale : dans une petite ville perdue en Argentine, l'autobus passe tous les soirs, mais depuis trois soirs, il ne s'arrête plus. Et cela fait trois soirs que l'avocat Ponce accompagne sa sœur pour prendre cet autobus qui passe devant eux sans s'arrêter. Trois soirs qu'un couple attend lui aussi cet autobus qui ne s'arrête pas. Alors que Ponce ramène sa sœur chez lui dans l'attente du prochain bus, le couple, excédé, décide de partir à pieds le long de la voie ferrée. Car le train non plus ne passe plus, la barrière du passage à niveau est baissée et un wagon posé sur la voie empêche toute circulation. Le village s'interroge, le soupçon et la confusion s'installent. La radio parle d'une jeune fille en fuite, d'un couple de subversifs, d'exercices militaires, d'une fusillade à la nuit tombée... Et l'autobus s'arrête de nouveau alors que personne ne l'attend plus.
Une écriture minimaliste, des dialogues elliptiques, un récit théâtralisé, un nombre réduit de personnages et un périmètre d'action très restreint : ce roman étrange se caractérise par sa sobriété et son détachement sous lesquelles couve une atmosphère de terreur larvée. Et même si ce roman reste un peu "en deçà", il révèle sous son apparence anecdotique une vraie force critique en illustrant la contamination rampante des actes et des esprits par la perversité du pouvoir dictatorial.
le cri du lézard