Fils unique de Stéphane Audeguy
Présentation de l'éditeur
" On n'a plus eu de ses nouvelles depuis ce temps-là, et voilà comment je suis demeuré fils unique", écrit dans ses Confessions Jean-Jacques Rousseau en évoquant son frère aîné, ce François Rousseau contraint de quitter Genève où les choses pour lui avaient mal tourné. Jean-Jacques tenait François pour un polisson et un libertin. Ce dernier apparemment ne l'a jamais démenti, qui n'a pas jugé nécessaire de nous laisser récit de sa vie. Il m'a semblé intéressant de remédier à cette négligence. S. A.
Biographie de l'auteur
Stéphane Audeguy vit à Paris. Il enseigne l'histoire du cinéma et des arts dans un établissement public des Hauts-de-Seine. Il a publié en 2005 son premier roman, La théorie des nuages, chez le même éditeur.
Mon commentaire :
Ah ! Enfin une écriture plaisante à l’oreille, sirotant quelques savoureux délices de la langue française. Une mauvaise tournure dès la première page (la république sait reconnaître ses penseurs, mais c’est quand ils sont morts) confirmée par le groupe de LU, m’indispose quelque peu un instant seulement car vite oublié par l’avalanche d’agréables « joliesses » grammaticales.
Cette anicroche prédisposait le thème à une sévère critique du beau parti Rousseau ennoblit par nos pairs, déifié par les inconditionnels chercheur de vérité, obnubilés par la compréhension de la nature humaine. Car Rousseau est un gros morceau. Rousseau pacifie les esprits autant qu’il les dérange dès lors qu’il sollicite plus d’humanité dans les rapports sociaux, de justice, de simplicité.
Son frère François, vit dans l’ombre tel le contraire à ses principes d’authenticité, usant du mensonge et de la violence pour connaître luxe et artificialité des rapports superficiels. Ainsi dépeints, les personnages de cette famille Rousseau nous entraînent dès la prime enfance genevoise, dans une ambiance dix huitième siècle fort bien décrite, abondamment illustrée d’anecdotes aussi « pompeuses » (p.29) qu’intimistes (le dépucelage du héros avec la bergère Denise). Que dirait-on à notre époque, de ces femmes couveuses de marmots, épancher sans ciller, la ferveur précoce d’un garçon de six ans ? (j’émets là tout de même, un soupçon sur la cohérence des propos).
Les recherches fouillées sur le quotidien d’une époque si lointaine (mais très documentée), donne à l’ouvrage le ton de la véracité des images induites. Le scandale dénoncé par l’association de « l’enfant bleu », et ici relatée par Stéphane Audeguy, n’est pas une honte contemporaine, mais bien une réalité ancrée dans les mœurs depuis que l’homme vit en société ; déviance ancestrale liée aux perversions sexuelles de notables fortunés, d’aristocrates agissant dans l’ombre sordide des faussetés maladives dues à leur rang.
Au fur et à mesure que s’éloignait la présence de Jean-jaques , s’érigeait peu à peu le priape magistral dans la vie mouvementé de François : je perdis quelques instant le goût de la lecture. Cette débauche d’ambiance orgiaque, loin d’être scabreuse atténua le propos rondement élaboré, musela la joie première ressentit lors de la partie « enfance » de l’ouvrage.
Je dois reconnaître que l’auteur est une vraie plume littéraire. Vieux jeu pour certain, nécessaire pour moi dans l’espace culturel livresque (pauvre à mon goût), permettant de dévoiler toutes les richesses de la langue française. Comme du Boucheron m’enthousiasma avec l’utilisation d’un vocabulaire précis, riche, Audeguy agrémente ses lignes de propos élaborés, façonne ses phrases à la manière d’un artisan modeleur, raffine son œuvre par de délicates pointes d’extase « à la française ».
Le rebondissement arrive alors lorsque l’Adam cloacal et l’Hercule libertin devinrent les objectifs prioritaires de la vie de notre horloger voyageur, obstiné par cette lubie du mouvement perpétuel, recherche destinée malheureusement ici, à la luxure.
La révolution française initiée par le peuple passe aussi par le mouvement de libération de la femme. François trouve après Paris (tenancière d’une maison de con-plaisance), une nouvelle compagne la fameuse Sophie. Sophie active la révolte des femmes, d’une main de fer, prenant à parti (j’ai bien dit « à ») les hommes encore très arriérés dans leur idées égalitaristes. A ce stade du récit, il est impressionnant de constater que du dix huitième siècle à nos jours le statut de la femme a certes trouvé quelques améliorations mais, restent d’actualité, certaines injustices nuisibles au bon fonctionnement de notre société « moderne ». Sophie, drapeau tricolore porté haut, ressemble à cette Marie-Anne républicaine haranguant le peuple au dessus des barricades révolutionnaires en chemin vers la liberté.
François Rousseau vécu sans laisser de trace. Jean-Jacques vit encore dans la mémoire collective.
François invente un système genre mécanique perfectionnée (mue pour procurer du plaisir) dont les ressorts en mouvement ne peuvent rien d'autre, sinon donner du bestial plaisir, sans jamais y affecter de sentiments quelconques.
Jean-Jacques adopte un système tel une anthropologie qui met en place les ressorts de l’action humaine, ses principes. Ainsi il se rapproche de la vérité quand il écrit dans le deuxième dialogue « la sensibilité est le principe de toute action. Un être quoique animé, qui ne sentirait rien n’agirait point car où serait pour lui le motif d’agir ? »
Lisez le pour connaître un beau moment littéraire. Si l’ennui vous gagne, persistez et surtout n’abandonnez pas, vous risqueriez de passer à côté d’une belle prose.(bertrand-mogendre)
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