2 livres correspondent à cette oeuvre.
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Swann
Sexe: Inscrit le: 19 Juin 2006 Messages: 2642
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Posté: Dim 04 Aoû 2024 18:37
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Publié en septembre 2023, cet essai politique fait l'objet d'une campagne de conférences depuis des mois, en France et à l'étranger, à ne pas confondre avec ses conférences sur la Palestine.
Jean-Luc Mélenchon y développe son cher thème de la révolution citoyenne, qu'il a parfois appelée "révolution par les urnes" (et non pas émeute révolutionnaire armée, comme se le répètent en mode sourd-muet-aveugle, certains éditorialistes), pour évoquer le choix d'un vote radical.
Pour démontrer que la situation, les moyens et les champs de vision doivent radicalement évoluer, il va d'abord démontrer que la démographie galopante et la kyrielle de progrès technologiques qu'elle engendre mécaniquement ont en amont apporté un changement radical dans l'humanité et sur la planète. Une réflexion sur le temps, qui m'a fait penser à Tout s'accélère, aboutit au constat effrayant que le "maître des horloges" est désormais le capitalisme. L'auteur poursuit la construction de son cadre de réflexion, qui est la description de notre propre situation, et notamment celle de l'état de nos connaissances et de nos sources de savoir et d'information.
La logique qu'il suit est celle des besoins fondamentaux : air, eau, alimentation... qui doivent être assurés à tous, sans condition et dont aucune espèce de monopole de distribution et de consommation n'est tolérable. On aboutit donc à une politique de la demande, et non pas de l'offre, qui nous régit actuellement.
Jean-Luc Mélenchon se montre visionnaire quand il évoque l'oligarchie et son droit de véto effectif, l'action qu'elle exerce sur la propagande médiatique. Je le savoure d'autant plus cette année, au moment où, pour conserver son gouvernement, le centre prônera une coalition excluant "les extrêmes", avec les médias pour agiter les pompons et reprendre le refrain : "L'oligarchie et la classe médiatique coupent l'omelette aux deux bouts et ressemblent les "extrêmes" dans un même opprobre avant de les diaboliser dans un même rejet". J'ai entendu cette métaphore de l'omelette dans la bouche d'Apolline de Malherbe, et sa déclinaison sur bien d'autres plateaux de presse d'opinion lorsqu'il s'agissait de présenter à leurs invités la nécessité de larguer les "extrêmes" et de redonner les clés du camion à M. Macron.
L'étape suivante : la notion de réseau. Ça vole une fois de plus tellement haut que je reprends souvent la demi-page que j'ai cru pouvoir survoler, cette approche par le haut pour décliner ses avatars ensuite, change des approches inverses et j'ai beaucoup aimé : cela montre que ce qui nous arrive entre dans des processus généraux et nécessite une pensée politique adaptée et non pas adaptable : les patches et le patchwork, l'en-même-temps-tisme ne peuvent pas se prévaloir de répondre aux logiques dans lesquelles nous évoluons.
Sur la situation internationale, Mélenchon présente un tableau actuel, quelques perspectives mais c'est surtout une description, assez utile pour ceux qui se contenteraient du JT ou pire, certaines chaînes d'information, de rapports très tendus qui n'évoluent pas vraiment vers la paix ni la coopération sous la menace des États-Unis d'Amérique en astre mort qui brille encore (métaphore qui donne mon impression, l'auteur ne dit pas de telles choses).
Mis bout à bout, tous ces chapitres expliquent tous ses positionnements, l'éclairent d'une cohérence philosophique humaniste et nous amènent à une conclusion sur un bien commun qui inclue plus que les humains, qui nécessite de la vertu (car il croit que le bien et le mal existent en politique) et de l'engagement.
Je ne peux que regretter que cet essai ait été publié un mois avant le 7 octobre, au moment où il était encore la première personnalité politique de gauche dans les sondages : il n'aurait pas manqué de compléter avec un temps et une profondeur que les fusillades de plateau TV ne lui ont pas laissés, son chapitre sur la diplomatie, et montrer que son immédiat appel à la paix entrait dans ladite cohérence que je trouve à sa vision politique.
Citations :
* J'ose à peine signaler ici une information parue hélas dans une affligeante indifférence, en novembre 2021. Elle provoqua la publication d'un seul et unique pauvre tweet d'enthousiasme. Le mien ! Deux capsules contenant 100 milliards de copies de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d'Olympe de Gouges ont été fabriquées à partir d'un ruban ADN. Après le papier et le silicium, cet usage de l'ADN multiplie par des milliards la capacité de stockage. (...) La méthode de l'ADN permettrait notamment un stockage des données dites "froides", ces précieuses archives de l'inutilisé. Elles tiendraient toutes ainsi dans une boîte à chaussures, disent les inventeurs de ce premier stockage biologique.
* Naturaliser la discrimination ouvre une palette de comportements stéréotypés déjà largement répandus. D'abord "raciser" les statuts sociaux, c'est-à-dire assigner aux couleurs de peau des "tempéraments", leur présupposer une ethnie, une religion, des mœurs et un statut légal discuté. L'extrême droite sert ici comme une garantie de détermination. Cela banalise une opération efficace de division des milieux populaires sur des critères désormais rabâchés sans honte à propos de la couleur de peau, de la religion et des habitudes alimentaires. Puis culpabiliser les victimes du système. "Les "centristes" libéraux s'en chargent. Alors le chômage est la faute des chômeurs, la maladie, celle des malades, la pauvreté, celle des pauvres.
* La ville moderne est caractérisée avant tout par quartiers en fonction de leur niveau de richesse. Les riches de nos villes ne veulent pas vivre à côté des pauvres (...). Ainsi, la "main invisible", bien aidée souvent par l'intervention publique, a accouché d'une ville très profitable pour quelques-uns. A chaque fois, le premier effet est la spécialisation sociale des quartiers. Celle-ci permet de faire payer cher pour s'extraire des quartiers pourris (...). Les émeutes urbaines désormais observables dans le monde ont toutes cette ségrégation comme origine.
* Raymond Barre (autre exemple d'extrême-centre !) à l'origine du désinvestissement de l'État dans l'habitat : "il va laisser faire le marché", c'est-à-dire la création de quartiers pauvres ou riches, sur des zones éloignées où la voiture va devenir indispensable.
* Cette oligarchie méprise le peuple, l'asservit, le divise volontairement par sa propagande diffusant sans relâche des arguments de fragmentation. Elle excite les préjugés racisants et genrés. Elle fait de l'islamophobie un fonds de commerce en application de la théorie propulsée par la stratégie du "choc des civilisations" de Samuel Huntington et des agences d'influence nord-américaines. ("Oligarchie" p. 177)
* La défaite de l'Otan en Afghanistan a clos ce cycle. Bilan ? La réalité globale a changé et les États-Unis n'y jouent pas le rôle avantageux dont ils espéraient la récompense. En Europe, par contre, ils sortent considérablement renforcés par la guerre d'Ukraine déclenchée par la Russie en février 2022.La criminelle et absurde invasion par Vladimir Poutine a détruit deux décennies de travail pour réintégrer la Russie dans un espace européen pacifié et et contractuel. La victoire politique des États-Unis est concrétisée par l'adhésion à l'Otan de deux pays neutres comme la Finlande et la Suède. Et par le sabotage d'une infrastructure comme les gazoducs Nord Stream. Ce sont les deux symboles éclatants de la déroute de la stratégie poutinienne. De son côté l'espace européen s'est de lui-même confiné dans un lien politique transatlantique fusionnel. Il lui interdit toute capacité d'initiative autonome sur son propre espace régional. ("États-Unis : tensions programmées", p. 266)
* [Cette vision] assigne à chacun une volonté de puissance comme valeur cardinale et la compétition comme moyen de cette ambition. (...) Rien n'est moins adapté au siècle du changement climatique et des populations en déshérence. La compétition pour les marchés y est vide de sens. (...) Je m'en tiens au contexte dans lequel prennent désormais place les peuples. Il faut opposer point par point une politique à une autre. Et les mots doivent baliser le nouveau champ sans être abandonnés aux emprunts forcés par nos adversaires. On a trop vu comment c'était leur façon de les dévaloriser par des usages abusifs ou bien par une inaction d'où leur réputation peut ressortir ruinée. Ainsi quand Macron reprit à son compte le concept de planification écologique. Il créa même un Commissariat au plan logé sur un grand pied. Sans aucune action ni aucun résultat. Puis il en chargea la Première ministre en personne, sans davantage d'effets. Ainsi peut-on faire mourir les mots. Et avec eux ce qu'ils désignent. ("L'impasse de la compétition", p. 276)
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apo
Sexe: Inscrit le: 23 Aoû 2007 Messages: 1959 Localisation: Ile-de-France
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Posté: Mar 24 Oct 2023 23:16
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Habituellement, j'évite de lire les ouvrages des personnalités politiques. Peu intéressé par la forme livresque des programmes de campagne et encore moins par tous genres de récits autobiographiques de tels personnages publics, au moins de leur vivant, je suis conscient que l'éventuelle sympathie ou antipathie que l'on peut nourrir pour l'auteur de ces livres dérive de (ou bien détermine – là est une autre question, au demeurant fondamentale en sociologie électorale...) nos opinions politiques et nos comportements devant l'urne, lesquels constituent donc des éléments parasites dans l'approche que l'on a envers le livre, ce qu'il nous apporte en termes de savoir et de réflexion, et spécifiquement dans le jugement de sa valeur.
L'écoute de plusieurs interviews radiophoniques à Mélenchon, réalisées par des journalistes souvent peu bienveillants à son égard, l'invitant à présenter son essai très récemment paru, m'a persuadé qu'il s'agissait là d'un ouvrage de théorie politique, suffisamment abstrait et distancié de l'actualité – et de toute campagne électorale – pour aspirer à se proposer comme grille d'analyse de longue durée. Et en effet, j'y ai trouvé une articulation tout à fait inattendue entre la « théorie de l'ère du peuple et de la révolution citoyenne » et la critique du capitalisme néolibéral actuel sous le prisme écologique radical. Alors que l'écologie politique ne brille pas toujours pour sa théorisation (sans parler de ses avatars sous forme de partis politiques des différents pays d'Europe...) et que l'anticapitalisme ne présente pas souvent la question écologique sur le même plan prioritaire que la question sociale, loin s'en faut, le texte a au moins le mérite de cette originalité-là. De plus, si les théories sus-évoquées peuvent ressembler à des slogans électoralistes creux, je les ai trouvées nourries ici par la solide tradition d'analyse économique matérialiste marxienne, caractérisée par la rigueur et l'austérité conceptuelle. Enfin, les sujets abordés et les exemples utilisés dans les démonstrations sont particulièrement ancrés dans la réalité contemporaine : en particulier la problématique démographique, la centralité des réseaux et celle de l'urbanisme dans toutes leurs déclinaisons, en termes de conflictualité économique, de politique intérieure et enfin (même si l'accent est moins prononcé sur ce dernier point) de politique internationale. À l'issue de cette lecture très exigeante, devant un texte remarquablement dense dans lequel les pistes de réflexion fusent dans tous les sens, je comprends que le livre condense de nombreuses années de pensée et d'action politiques, mais qu'il ne s'adresse ni à l'actualité ni même principalement aux électeurs d'aujourd'hui : comme l'indique l'exhortation que représente son titre, il s'adresse plutôt aux jeunes « citoyens » et aux générations futures, comme un appel à associer notre temps présent non pas seulement au temps des décisions calamiteuses et de la négation de toute possibilité d'espérance, mais de l'envisager aussi comme celui où une certaine lucidité existait qui montrait – partiellement mais hardiment – la voie vers une alternative plus lucide, plus vertueuse, plus durable, plus généreuse et soucieuse de l'intérêt général de l'espèce humaine dans son ensemble...
Table [succincte, avec appel des cit. ; chaque chap. est suivi d'un court résumé mien] :
Introduction
I. Insoutenable :
Chap. 1 : Le nombre
[Où l'on a compris que le problème démographique, d'une envergure exceptionnelle et inédite, n'est pas traité de manière malthusienne, et que « l'hyper-individu » hyper-connecté peut être un enjeu pour la lutte politique.]
Chap. 2 : Le nouvel espace-temps [cit. 1]
- Le temps est une propriété de l'univers social
- Le capitalisme comme temps dominant
- Le choc avec le temps du vivant
- Le présent déjà dépassé
- Harmonie et planification
[Où il est question de domination comme contrôle de l'espace-temps. L'espace-temps capitaliste tend à l'accélération permanente ; le maximum du pouvoir constitue l'objectif absolu qui est l'espace-temps zéro de la sphère financière. Cependant ces rythmes sont discordants avec le vivant et surtout avec l'écosystème. D'où la « Règle verte » qui impose une planification tendant à la concordance du temps de production avec les rythmes sociaux et ceux de l'écosystème.]
Chap. 3 : L'ère de l'incertitude :
- Savoir à l'ère de l'incertitude
- Nombre et savoir
[Où il est question de l'incertitude des changements de l'écosystème et de l'intelligence collective, ou « culture cumulative », comme moyen de progrès, seul capable d'y faire face.]
Chap. 4 : La noosphère :
- La noosphère globale et totale [cit. 2]
- Monopolisation du savoir
[Où la notion de noosphère est définie et en est donnée une exemplification contemporaine avec les connaissances numériques et en particulier big-data et l'IA. Néanmoins se pose le problème du stockage de ces données, répondant à des choix politiques, ainsi que celui de leur diffusion, qui est entravée par l'appropriation monopolistique des Gafam, grâce à la législation sur la propriété intellectuelle – ex. le brevet des recettes des vaccins Covid.]
Chap. 5 : De la servitude involontaire :
- Capitalisme insoutenable
- Le libéralisme autoritaire [cit. 3]
- La déconfiture sociale-démocrate
- Vaincre dans nos têtes [cit. 4]
- L'impératif de la rupture
[Où une critique du capitalisme est détaillée d'abord et surtout pour des raisons écologiques, à savoir :
i) Le capitalisme est incompatible avec les impératifs de soutenabilité sous forme d'intérêt général ;
ii) Le capitalisme est autoritaire et n'assure que la liberté du capital ;
iii) Le nouvel antagonisme n'oppose plus le capital au travail mais le profit privé à l'intérêt général ;
iv) La social-démocratie est obsolète car productiviste ;
v) La notion d'anthropocène pose la responsabilité générale de l'espèce dans l'organisation productiviste, notamment par la consommation ;
vi) La rupture est un impératif lié au délai environnemental.]
Chap. 6 : Les droits de l'espèce :
- La nuit
- Le silence
- L'air
- L'eau
- L'alimentation
- Memento
[Où sont établis des droits plus fondamentaux que la propriété privée, comme « droits de l'espèce » : droit à l'obscurité, au silence, à un air respirable, à de l'eau potable, à une alimentation saine, sachant que la famine et la malfbouffe sont liées davantage à la pauvreté qu'à la capacité de production alimentaire.]
II. Nouvelle conflictualité, nouvel acteur
Chap. 7 : La ville [cit. 5] :
- Ville, nombre, marché et classes
- Ville et capitalisme [cit. 6]
- Le nouveau fait urbain inégalitaire
- Les révolutions urbaines
[Où il est question d'urbanisme, depuis le début du développement historique de la ville, puis de son lien continu avec le capitalisme à travers le temps jusqu'à la ville néolibérale et aux révoltes urbaines des dernières années.]
Chap. 8 : Les réseaux :
- La vie en réseaux
- Anthropocène et réseaux
- Les nouveaux travailleurs des réseaux
- La nouvelle conflictualité [cit. 7]
[Où il est question de l'étendue des réseaux dans la vie sociale contemporaine, mesurable a contrario par leurs dysfonctionnements : déserts médicaux, carences d'autres services, défaut de couverture numérique. Nouvelle définition de la conflictualité entre « peuple » et « oligarchie » relative au contrôle des accès aux réseaux.]
Chap. 9 : Le peuple :
[Où le peuple est défini comme acteur politique au sein de la conflictualité spécifique contre l'oligarchie pour le partage des richesses et le contrôle des accès aux réseaux.]
III. La Révolution citoyenne
Chap. 10 : Le grain de sable [cit. 8] :
- Au début c'est inouï
- Les luttes préexistantes
[Esquisse d'étude de la phénoménologie révolutionnaire : définition de la révolution citoyenne, ses signes avant-coureurs, « transcroissance » des revendications, liens avec les questions écologiques, importance du suicide socio-politique.]
Chap. 11 : Les habits neufs de la révolution :
- Spectacle de la révolution
- Assemblées citoyennes
- Visibilité
- Urbanité
- Légitimité et unanimité
- Les femmes en révolution
- Les phases de la révolution
[Phénoménologie de la révolution (suite) : visibilité des assemblées citoyennes où règne le principe du consensus, révoltes urbaines , présence féminine, phases y compris parfois les cycles longs.]
IV. Le nouvel Eldorado
Chap. 12 : Le capitalisme en réseau :
- Le nouveau capitalisme [cit. 9]
- Les nouveaux monopoles
- La nouvelle bataille du contrôle
[Étude sur le capitalisme en réseau, dont la globalisation se fonde sur trois piliers : « la logistique [qui] rend possible le fonctionnement des réseaux matériels, l'informatique [qui] ordonne la circulation, et la finance [qui] commande et condense » (p. 248). La fin pose que la géopolitique traditionnelle n'est pas rendue caduque par la globalisation, car sa fonction est de garantir la sécurité des réseaux stratégiques : hydrocarbures, câbles, voies maritimes, eau...]
V. Vers le peuple humain
Chap. 13 : Une diplomatie altermondialiste :
- Nouvel ordre mondial
- Les nouveaux venus
- Vers l'altermondialisme
[Où l'on constate le déclin des États-Unis et notamment du dollar, face aux Brics : ce constat conduit à envisager une diplomatie selon de nouveaux principes : coopération et collectivisme vers l'altermondialisme et en faveur des causes communes ; centralité de l'ONU, lourde critique de l'Otan.]
Chap. 14 : Nouvelles frontières de l'humanité :
- L'espace
- La mer
[Enjeux et vulnérabilité des nouveaux territoires de l'humanité : l'espace qui n'est plus res nullius ni démilitarisé et la mer étant conçue comme un potentiel immense de ressources énergétiques renouvelables.]
Conclusion : La morale de l'histoire [cit. 10]
Cit.
1. « De la durée de vie des objets à celle des êtres vivants, le capitalisme est désormais le maître de toutes les horloges. Pourquoi l'a-t-il fait ? Comme une conséquence de sa logique interne fondamentale. Le capital de départ doit croître et se transformer en un capital plus grand. Cette opération doit se répéter le plus de fois possible, le plus vite possible. La quête du profit, l'accumulation d'argent : le capitalisme est d'abord un rythme. Dans ce contexte, la planification écologique et la "règle verte" ne sont pas des variantes de la gestion prévisionnelles des technocrates, mais une prise de pouvoir révolutionnaire sur le temps. Il s'agit d'en récupérer la propriété et d'en faire un bien commun géré collectivement avec un objectif : l'harmonie. Il ne s'agit pas ici d'une question esthétique. L'harmonie est une politique de concordance générale des temps écologiques et sociaux contre la dictature du temps court capitaliste. » (p. 27)
2. « Donc aujourd'hui, aucune information numérisée n'est définitivement stockée. Elle occupe de la place et sa conservation consomme de l'énergie. Petit à petit une information peut reculer dans les profondeurs du stockage du cyberespace. Pour finir, elle se démembre et disparaît.
[…]
Quelles sont nos priorités dans l'utilisation de l'énergie si on doit en limiter la production et l'usage ? Ce n'est pas une question de logique : une information aujourd'hui inutile ou sans usage sera peut-être décisive demain. En matière de savoirs, détruire tout l'inutilisé n'est donc pas si raisonnable dans la durée ! Autre chose : quelles sont nos conservations prioritaires : l'écrit, le sonore, le visuel, la 3D ? La musique, la littérature, la peinture, l'art plastique, les cours de la Bourse, des horaires de bus ? Ce sont des questions politiques. La culture cumulative est intimement liée au fonctionnement de la communauté humaine. Elle ne peut pas échapper à ses règles de décision. Elle est la couche de pensée interface avec le monde. Mais sa production et sa conservation sont liées aux techniques d'une époque. Par conséquent la question politique qu'elle pose se formule différemment à chacune d'elles. » (p. 65)
3. « On comprend comment l'industrie pétrolière [ainsi que les autres industries à fort impact environnemental] agit souverainement au nom des droits de la propriété privée et de la liberté d'entreprendre dans la conception issue de la fin de la société féodale et de l'entrée dans l'ère capitaliste. Tous les autres interviennent au nom de l'intérêt général humain confondu avec celui de la protection de son écosystème. Ils ne peuvent délibérer comme ils le font sans poser une nouvelle hiérarchie politique des normes. Au sommet d'entre elles, ils installent ces intérêt général humain. Mais ils introduisent aussi même sans le dire la définition d'un nouveau type de propriété : le bien commun de l'humanité. La confrontation est inéluctable. Elle présente des traits communs avec celle du capital et du travail aux deux siècles précédents. Mais elle en renouvelle et en élargit le sens et les enjeux. À sa façon elle instaure un peuple humain concret : celui, empoisonné, asphyxié, dénaturé par un mode de production individuellement profitable et collectivement suicidaire. » (pp. 96-97)
4. « Dans une consommation s'accomplit en quelque sorte la production sociale de la réalité vécue. Les objets autour de nous ne se limitent pas à leur valeur d'usage et à leur valeur d'échange. L'univers mental les prend en compte comme objets de pensée. Il leur donne un sens relationnel par l'affichage du désir à leur sujet. Et on ne consomme jamais non plus sans conséquences pour l'idée que l'on a de soi. La marchandise envoûte son acquéreur. C'est alors vraiment tout un symbole de voir comment le premier milliardaire du monde est un Français établi sur un empire du luxe. Le prix de ses productions délimite une clientèle vouée à l'achat de signaux d'ostentation. Alors il n'est pas possible, sans un réductionnisme aberrant, de sous-estimer un paramètre comme la valeur inclusive de la marchandise. Autant croire qu'une assiette peinte par Picasso trouve sa valeur d'usage à la cuisine. » (p. 102)
5. « En 2008, un changement spectaculaire s'est produit. Pour la première fois de l'histoire de l'humanité, la population vivant en ville a dépassé en nombre celle vivant à la campagne. Après des dizaines de millénaires à l'inverse ! Un mode de vie longtemps minoritaire est devenu hégémonique sous toutes les latitudes. Au monde d'hier fait de cités, surnageant comme des îlots dans un univers rural, succède celui de la ville sans fin. Il s'agit donc d'une bifurcation majeure dans l'histoire longue. Mais nous ne pouvons plus nous en rendre compte. La ville nous a absorbés sans bruit. Elle est devenue notre milieu de vie évident. Nous pourrions la croire aussi neutre qu'un simple paysage. Nous passerions à côté de l'essentiel. La ville est une matrice. Elle formate toutes nos activités, nos manières d'être, nos désirs, nos besoins. Et sans doute la politique elle-même si l'on veut rappeler une fois de plus la racine du mot grec ancien. La polis désigne la cité elle-même comme lieu de la discussion politique. » (p. 133)
6. « Les villes accompagnent la mutation mais cette fois sans planification de la croissance urbaine. Les mégalopoles creusent spontanément les inégalités. D'un côté un processus de sécession des quartiers riches et de l'autre le développement de tentaculaires bidonvilles au Sud, le retour du sans-abrisme au Nord. L'espace urbain est marchandisé et fragmenté à l'extrême. La publicité commerciale prend une place dans le paysage urbain jamais atteinte auparavant par n'importe quel appareil de propagande dans l'histoire de l'humanité. Dans ce nouvel archipel urbain mondial, les grandes métropoles deviennent des hubs aéroportuaires. Le réseau numérique permet un boom dans la communication. Le réseau logistique connaît un essor sans précédent dû à l'éloignement radical des centres de consommation et de production. L'urbanisation réorganise tout le "Sud" global. » (p. 143)
7. « La dépendance aux réseaux engendre alors de cette façon l'acteur social qui en est l'objet. C'est le peuple. C'est nous. C'est-à-dire la masse de ceux qui ne peuvent reproduire leur existence matérielle sans cet accès. Le contexte polarise la lutte qui s'en déduit entre "eux" et "nous". D'un côté l'oligarchie. C'est "eux". Elle a son intérêt dans la levée de tous les contrôles citoyens qui pourraient s'opposer à sa maîtrise sur la géographie des déserts et des oasis de services rendus par les réseaux qu'elle possède. Il lui faut étendre cette géographie en abolissant tous les régulateurs tels que services publics, normes et rapports de force sociaux qui limiteraient son pouvoir ou l'expansion de son projet. De l'autre côté c'est le peuple. Il dépend en tout et pour tout de son accès aux réseaux collectifs. Ils assurent sa survie et la reproduction de son existence matérielle et sociale dans tous ses aspects. Lui doit à l'inverse garantir sa propre sécurité en se donnant les moyens d'accéder sans entrave à ces réseaux. La relation du peuple et de l'oligarchie a pour enjeu ce contrôle des réseaux. Et cela aussi bien pour y accéder, pour la garantie de leur bon fonctionnement, pour le contenu et la qualité de leurs services. Dans ce conflit d'intérêts et de pouvoir, on voit en effet un conflit pour la répartition des fruits de l'activité des réseaux entre services à rendre et profits financiers à prélever. Mais ce n'est pas tout. Pour les uns c'est une lutte pour l'appropriation de la richesse réalisable. Pour les autres c'est la lutte pour la réappropriation de soi en contrôlant le moyen de satisfaire ses besoins vitaux. […] Les uns portent une logique de classe, les autres, un projet de condition humaine. Les uns, une appropriation privée, les autres, une mise en commun des moyens. Les uns, un privilège individuel, les autres, un pouvoir collectif dans la cité que résume le mot "citoyen". Les uns, un intérêt particulier, les autres, un intérêt général humain. » (pp. 173-174)
8. « La révolution citoyenne se présente donc sous deux formes. D'abord comme une action collective spontanée. Ensuite comme le programme et la stratégie délibérée d'une organisation politique quand elle fait sienne ce projet, comme nous le faisons en France. Mais d'abord c'est une révolution de fait. Partout où elle a lieu, elle présente un épisode insurrectionnel plus ou moins frontal avec le gouvernement et le pouvoir en place. Dans son déroulement, elle passe par des formes et des phases à ce sujet, souvent identiques dans le monde entier. C'est là un signal de l'homogénéité des conditions dont elles sont issues. L'expérience en désigne au moins deux. D'une part les politiques néolibérales de rabougrissement de l’État et des services publics. Car le passage de secteurs essentiels au profit du secteur privé est toujours socialement discriminant et vécu alors comme une injustice. D'autre part, il s'agit des catastrophes liées au changement climatique. Ou bien des conséquences de la dégradation de l'écosystème sous les coups du système productif. Elles désorganisent et mettent à nu l'impuissance du marché à régler les problèmes. » (p. 193)
9. « La globalisation est le nom de ce moment où la finance a le moyen numérique direct et physique d'articuler tous les réseaux par où la collecte du profit s'opère. La globalisation numérique permet alors une mutation du processus de l'accumulation du capital. L'extraction de la plus-value n'est plus centrée pour l'essentiel sur la production brute mais sur la circulation entre les moments de sa réalisation. Et par conséquent les accès aux moyens de cette circulation deviennent cruciaux. On comprend alors comment le capitalisme des réseaux peut reposer sur une nouvelle source d'accumulation : le tribut prélevé sur ce droit d'accès. Un appétit nourri et accru par la tendance lourde à la monopolisation croissante des réseaux matériels et immatériels. » (pp. 245-246)
10. « Du point de vue politique, elle [la créolisation] est le chaînon manquant entre l'universalisme désiré et la revendication de droit à la différence. Ce n'est pas un entre-deux mais une voie de passage. La créolisation majoritaire de nos jours s'opère par les modes d'emploi des objets, la musique et les séries télévisées. Toutes choses permettant d'opérer une symbiose des comportements et des normes de ceux-ci. La créolisation invalide le racisme. Aucune distance ne sera jamais assez grande entre les êtres humains pour les empêcher de produire quelque chose de commun et de neuf, ensemble. La créolisation dépasse concrètement le concept étriqué de l'exigence d' "intégration" dans un monde fantasmé préalable, pour former la communauté humaine dans chaque pays. La créolisation est inclusive. Certes elle se réalise à coup sûr à partir de la culture dominante d'une époque et d'un lieu. Mais elle n'est pas pour autant un nivellement ! Elle fait jaillir de l'imprévu et de l'original. Et elle accueille et reformate tout ce qui l'approche. Cette tendance est d'autant plus forte quand la pression du nombre augmente les échanges et multiplie les connexions. Dès lors, elle peut être considérée comme le nouvel âge en préparation d'une matrice commune. Ou bien encore comme la base d'une future culture cumulative. » (p. 316)
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