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Les notes de lectures recherchées

7 livres correspondent à cette oeuvre.

Il y a actuellement 3 notes de lecture correspondant à cette oeuvre (voir ci-dessous).

Notation moyenne de ce livre : (5 livres correspondant à cette oeuvre ont été notés)

Mots-clés associés à cette oeuvre : classique

[Bartleby le scribe | Herman Melville]
Auteur    Message
apo



Sexe: Sexe: Masculin
Inscrit le: 23 Aoû 2007
Messages: 1954
Localisation: Ile-de-France

Posté: Mer 21 Juin 2023 18:03
MessageSujet du message: [Bartleby le scribe | Herman Melville]
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« I would prefer not to », martèle Bartleby. Nombreuses ont été les interprétations de cette formule de la résistance passive, peut-être de la désobéissance civile (prononcée à Wall Street au pic de la révolution industrielle en Amérique...), qui dénote l'inversion des rôles entre le puissant et le plus démuni, par le seul effet de la détermination courtoise et inébranlable de celui qui la profère. Qui est Bartleby ? un autiste « préférant » la perte de sa vue et le renoncement à se nourrir à tout changement de ses habitudes ? une victime du syndrome de Stockholm ?
Pour ma part, je voudrais plutôt me pencher sur la question symétrique : quels sont les effets de son refus de collaboration sur le narrateur – si on consent à prendre ce dernier pour le personnage principal de la nouvelle ? Nous avons là une métamorphose en quatre temps, un drame en quatre actes :

1. Le Doute :
« C'est un fait assez fréquent que, si un homme se voit contrecarrer d'une manière toute nouvelle et violemment déraisonnable, il commence à être ébranlé dans ses convictions les plus patentes. Il commence bel et bien à soupçonner vaguement que la justice et la raison, quelque prodigieux que cela puisse être, sont entièrement dans l'autre camp. En conséquence, s'il se trouve là quelques personnes désintéressées, il se tourne vers elles afin de chercher du renfort pour ses esprits défaillants. » (p. 29)

2. La Haine :
« Mes émotions premières avaient été de pure mélancolie et de la plus sincère pitié ; mais à mesure que la détresse de Bartleby prenait dans mon imagination des proportions de plus en plus grandes, cette mélancolie se muait en frayeur, cette pitié en répulsion. Tant il est vrai et terrible à la fois que, jusqu'à un certain point, l'idée ou la vue de malheur mobilise nos meilleurs sentiments, mais que, dans certains cas particuliers, au-delà de ce point elle ne les commande plus. Il serait erroné de croire que ce phénomène soit dû invariablement à l'égoïsme inhérent au cœur humain. Il procède plutôt d'une certaine désespérance de pouvoir remédier à un mal excessif et organique. Pour un être sensible, la pitié, souvent, est souffrance. Lorsqu'on voit finalement qu'une telle pitié ne saurait sortir un secours efficace, le sens commun ordonne à l'âme de s'en débarrasser. » (pp. 43-44)

3. Le Fatalisme :
« Je vins peu à peu à me persuader que mes désagréments relatifs au scribe étaient prédestinés de toute éternité, que Bartleby avait été nanti d'un billet de logement pour mon étude par une très sage Providence, et cela pour quelque mystérieux dessein qu'il ne m'appartenait pas, à moi, simple mortel, de sonder. "Oui, Bartleby, pensai-je, reste là derrière ton paravent, je ne te persécuterai plus ; tu es inoffensif, aussi peu bruyant que n'importe laquelle de ces vieilles chaises ; bref, je ne me sens jamais autant en paix que lorsque je te sais là. Je le vois, je l'éprouve enfin ; je pénètre la raison d'être prédestinée de ma vie. Je suis satisfait. D'autres peuvent avoir des rôles plus élevés à jouer ; quant à moi, ma mission en ce monde, Bartleby, est de mettre mon étude à ta disposition aussi longtemps que tu trouveras bon d'y rester." » (pp. 60-61)

4. L'Angoisse (due à l'Incongruence avec soi-même) :
« Dès que j'eus retrouvé mon calme, je vis clairement que j'avais fait désormais tout ce que je pouvais faire – compte tenu des exigences du propriétaire et des locataires aussi bien que de mon propre désir et de mon sentiment du devoir – pour venir en aide à Bartleby et le protéger de toute persécution brutale. Je m'efforçai alors d'être parfaitement insouciant et tranquille ; et mes efforts eurent l'approbation de ma conscience ; mais à dire vrai, ils ne furent pas aussi fructueux que j'aurais pu le souhaiter. Je craignais tant de me voir pourchasser à nouveau par le propriétaire furibond et par ses locataires exaspérés que, laissant le soin de mes affaires à Lagrinche pour quelques jours, je parcourus dans mon cabriolet les hauts quartiers de la ville et des faubourgs […] En fait, pendant cette période, je vécus pour ainsi dire dans mon cabriolet. » (pp. 70-71)


Si la réaction belliqueuse du narrateur s'estompe devant l'apaisement de sa conscience, chaque fois qu'il a pu se soustraire à une relation de domination qui le rend moralement inférieur à son antagoniste, des circonstances extérieures, principalement la peur du qu'en-dira-t-on, de la perte de reconnaissance de son pouvoir, fragilisent la décision dictée par son intériorité. Son conflit intra-psychique le pousse à se mentir deux fois : dans sa négation de tout lien et donc de toute responsabilité envers Bartleby devant le propriétaire, et dans sa prétention d'innocence face à l'emprisonnement injustifié de son ancien employé. Dans les deux cas, son ego s'en trouve moralement avili, surtout au regard de celui de l'adversaire, proportionnellement magnifié :
« Bartleby !
- Je vous connais, dit-il sans se retourner – et je n'ai rien à vous dire. »

Ainsi fonctionne, semble-t-il, la non-violence dans le champ du politique, ainsi le dépassement de la domination dans celui des relations interindividuelles, dès lors qu'on peut opposer au pouvoir une résolution et une ténacité sans faille.
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[Bartleby, le scribe : une histoire de Wall Street | Her...]
Auteur    Message
Franz



Sexe: Sexe: Masculin
Inscrit le: 01 Déc 2006
Messages: 1992
Localisation: Nîmes

Posté: Dim 25 Avr 2021 12:35
MessageSujet du message: [Bartleby, le scribe : une histoire de Wall Street | Her...]
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El desdichado.
L’adaptation du Bartleby de Melville par le dessinateur espagnol José-Luis Munuera est une réussite graphique et narrative même si ses partis pris orientent la lecture différemment. Ainsi la représentation de Bartleby, beau jeune homme ibère, est bien éloignée du scribe : « cadavériquement soigné » évoqué par Herman Melville. Néanmoins, l’efficacité du trait vif et cartoonesque de Munuera colle à merveille aux décors sépia de Wall Street en toile de fond. Il n’est pas assuré qu’un traitement graphique réaliste eût obtenu un impact supérieur. L’ajout de pages inspirées par Thoreau permet de faire respirer la nouvelle hors les murs. Arriver à rendre passionnante une histoire statique et introspective, sans éclat ni action, est une prouesse. L’album édité chez Dargaud est soigné. Il palpite et brille sous « le soleil noir de la mélancolie ».
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[Bartleby le scribe : une histoire de Wall Street | Herm...]
Auteur    Message
Franz



Sexe: Sexe: Masculin
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Messages: 1992
Localisation: Nîmes

Posté: Mar 20 Avr 2021 12:04
MessageSujet du message: [Bartleby le scribe : une histoire de Wall Street | Herm...]
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Tragi-comédie en impact.
De Socrate buvant la ciguë aux gilets jaunes avalant des couleuvres, en passant par Thoreau qui ne manquait pas d’air ni d’allure, la liste des insoumis volontaires, célèbres ou anonymes, est longue comme un jour sans pain. Quand Henry David Thoreau publie en 1849 son essai intitulé « La Désobéissance civile », Herman Melville ne peut que s’accaparer l’idée maîtresse du philosophe naturaliste américain et l’injecter admirablement dans sa nouvelle Bartleby qui paraît en 1853. Les multiples traductions, les commentaires sans fin montrent la fascination face à une œuvre atemporelle, énigmatique et résistante. Bartleby, sans passé ni avenir, gratte mécaniquement de la copie, autiste insondable, poli et inflexible. Tel un maître d’aïkido utilisant l’énergie de l’adversaire pour annihiler son attaque, Bartleby répond à son employeur qu’il n’aimerait autant pas travailler davantage et sa force d’inertie sans autre explication que sa formule laconique répétée à l’envi provoque un effet déflagrant. Parfaitement ancrée dans l’épicentre du capitalisme planétaire à Wall Street au XIXe siècle, la nouvelle est une critique de la marchandisation du monde où les vies s’engluent en pure perte. Bartleby est le prototype de l’homme moderne perdu en mer, ni vivant ni mort : « cadavériquement soigné, pathétiquement respectable, incurablement abandonné ».
La nouvelle traduction et l’édition de qualité parue chez Libertalia en 2020 sont impeccables. La préface et les notes dues aux traducteurs sont concises, avisées, éclairantes. Il est difficile de ne pas rire jaune à la lecture de Bartleby, avec ou sans gilet de sauvetage.
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