La daronne nous salue bien.
Dès qu’on aborde aux premières lignes du soliloque de la daronne, on est hameçonné et chaque contorsion d’aise ferre davantage le crochet dans la chair. Inutile de résister, mieux vaut laisser le débit filer et nager dans les eaux troubles des vies à la dérive. Patience Portefeux, la bonne mère naufragée, sait de quoi elle parle et où elle va dès lors où elle prend conscience que sa destinée de loser peut être corrigée avec de la chance, de l’audace, du calcul et de l’investissement personnel. Travaillant sur écoutes, la daronne traduit l’arabe des dealers et autres trafiquants pour le compte de la police. Arrive l’instant de la bascule, de l’opportunité à empoigner qui transformera Madame Portefeux en daronne. Il faut la saisir avec le chargement idoine. Après, elle devra mettre en place les réseaux alors que le terrain est miné par les caïds, les flics et tous les grains de sable en suspens au-dessus des rouages les mieux huilés.
Perdu dans une boîte à livres de la campagne lotoise, « La daronne » ne pouvait briller par son titre insignifiant, sa couverture terne, son auteur inconnu. La main fut pourtant heureuse car sitôt l’entame faite, l’intérêt du bouquin sautait aux yeux. Le style est accrocheur. Entre abattement, amoralité et abandon, l’humour s’y niche, la lumière s’y love, l’espoir s’immisce. L’auteur développe de la tendresse pour ses personnages, de l’empathie pour les invisibles. Des comparaisons surprennent et font réfléchir. Ainsi, quand le père de Patience a créé son entreprise de transport routier international vers les pays de « merde », ses chauffeurs devaient sortir d’au moins quinze ans de prison car il fallait « accepter de rester enfermé dans la cabine de son camion sur des milliers de kilomètres et défendre son chargement comme s’il s’agissait de sa vie ». Rares sont les auteurs qui abordent la fin de vie dans les EHPAD avec lucidité, compassion et verve. Les contacts entre la daronne et les dealers sont palpitants et désopilants, au corps défendant d’un système sociétal déliquescent. Malgré la noirceur du propos, les bonnes âmes courent toujours les ruelles malfamées. Hannelore Cayre est un écrivain remarquable.
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