C’est en lisant le roman de Véronique Ovaldé (cf. ci-dessous) que je me suis souvenue que « Le saule » traînait dans ma PAL depuis un certain temps. En effet, dans « Et mon cœur transparent », l’un des personnages s’appelle Tralala, qui est également le prénom, nous précise-t-on, de l’héroïne d’un roman de Selby (qui n'est d'ailleurs pas "Le saule", mais "Last exit to Brooklyn").
Voilà pour la petite histoire…
Là s’arrête tout éventuel rapprochement entre les deux romans : je suis passée d’une douce excursion dans un univers fantaisiste à une brutale plongée dans un monde de violence et de rancœur… c’est-à-dire le nôtre, et plus précisément celui des bas-quartiers de New York, où nous faisons la connaissance de Bobby, un adolescent noir de 13 ans, et de sa petite amie Maria, qui est elle d'origine portoricaine. Ce flirt déplaît fortement à certains membres de la communauté dont est issue la jeune fille, qui en viennent à la défigurer en lui jetant de la soude au visage, pendant que Bobby est roué de coups.
Alors que Maria est hospitalisée, Bobby, qui a fui les lieux du drame, trouve refuge chez un vieil homme, Moishe, qui vit dans les sous-sols du Bronx, où il s'est aménagé un appartement au confort surréaliste.
Bobby et Moishe font connaissance et s’apprivoisent d’autant plus facilement que l’adolescent est touché par la sollicitude que lui témoigne son nouvel ami, avec lequel il se sent en sécurité pour la première fois de sa vie. Quant à Moishe, ayant perdu ses proches et vivant seul depuis longtemps, c’est tout naturellement qu’il se prend d’affection pour le jeune garçon. Seulement, l’affection engendre aussi l’inquiétude. Bobby n’a qu’une idée en tête : se venger de ses agresseurs. Moishe, qui a connu l’enfer des camps de concentration, sait à quel point la haine peut s’avérer délétère pour celui qui l’éprouve, et il est au désespoir face à celle de son protégé.
« Le saule » est l'histoire de la lutte entre deux alternatives face au mal, à la barbarie : haïr, et se venger... ou pas. Je n’ai pas eu l’impression qu’il s’agissait ici de pardonner à ses ennemis, mais plutôt d’oublier sa haine parce qu’elle détruit l’intégrité et l’estime de soi de qui la ressent. Si Moishe tente de lutter contre celle de Bobby, c’est davantage pour sauver ce dernier que ses agresseurs ! Et il a deux armes pour mener à bien cette lutte : son amour et son expérience. L’amour, qui est présenté comme un antidote actif à la haine : en incitant Bobby à profiter des petits moments de bonheur, en démontrant que l’affection que l’on ressent pour autrui est ce qui permet aux individus de vivre et d’être en paix avec eux-mêmes, le vieil homme essaie de le focaliser sur ce que l'existence peut apporter de bon et de gratifiant. Quant à son expérience… eh, bien, que pouvait choisir Selby de plus représentatif qu'un rescapé des camps de la mort pour étayer son hypothèse qu'il est possible de renier la haine même lorsque les circonstances qui la motivent paraissent la justifier ?
Ai-je été moi-même convaincue par les arguments de Moishe ? Je ne crois pas. D'un côté, j'ai remarqué que curieusement, les fois où les larmes me sont venues au cours de ma lecture, c’était d’émotion en lisant les passages décrivant les rapports entre Bobby et Moishe, ce qui prouve sans doute que Selby est éloquent lorsqu’il veut persuader le lecteur de la grandeur et de la force de l’amour. Seulement, cette force est-elle assez grande pour annihiler le désir de vengeance ? En ce qui me concerne, j'avoue ne pas m’imaginer capable de pouvoir un jour « souhaiter le bonheur » de mes éventuels bourreaux, ainsi que le préconise Moishe !
Et d'ailleurs, vous savez à quoi il m'est arrivé de penser en lisant ce roman ? Au film « Le vieux fusil », de Robert Enrico, avec Philippe Noiret et Romy Schneider. Pour ceux qui ne l’auraient pas vu, le personnage incarné par Noiret se venge de soldats SS qui ont sauvagement violé et assassiné sa femme et sa fille. Je l’ai vu il y a longtemps mais je me souviens encore de l’espèce de jubilation que j’ai ressentie au moment où le héros assouvit sa vengeance. Un sentiment naturel et compréhensible ?
Il me paraît en tout cas plus facile –car plus instinctif, sans doute- de haïr ceux qui nous ont fait du mal, que de passer outre à cette haine.
Et pour Bobby aussi, c’est inconcevable...
Le précepte défendu par le vieil homme a manifestement une connotation religieuse. Il me semble en tout cas difficilement applicable...
En effet, ce que l’on peut également constater, dans « Le saule », c’est que la barbarie semble être une des composantes inhérentes à la nature humaine. Il paraît évident que l’humanité ne tire pas vraiment de leçon des horreurs qui ont pu être perpétrées dans le passé.
Il suffit d’avoir sous les yeux les effroyables conditions dans lesquelles vivent les enfants comme Bobby ou Maria, par exemple, pour être convaincu de la cruauté et de l’iniquité du monde.
"Le saule" n'en reste pas moins un roman très fort, Selby utilisant de plus un procédé de narration qui happe le lecteur : une grande partie du récit est la transposition des monologues intérieurs des personnages exprimant leurs angoisses, leurs souffrances, d'une façon parfois saccadée qui confine à la litanie.