C'est une petite maison coincée au bord des rails, non loin de la gare de Budapest. Dans son petit jardin s'accumulent, année après année, les détritus dont se débarrassent les voyageurs par la fenêtre de leurs wagons.
C'est un endroit modeste, morne, comme oublié du monde, qui abrite en son sein des êtres silencieux, prisonniers d'une vie étriquée.
C'est un lieu où les secrets, les malentendus, ont faussé les rapports entre ces êtres, instauré le ressentiment et la souffrance, la déception et les regrets.
La maison est celle d'Imre, où devrais-je plutôt dire celle DES Imre. Le patronyme de l’aïeul qui l'a bâtie a en effet été transmis de génération en génération à chaque premier-né mâle de la famille Mandy, à une exception près... Le fils de l'actuel chef de famille a été prénommé Pál, pour d'obscures raisons que l'on devine plus ou moins au gré des bougonnements agressifs de son père.
Hormis ces deux-là, vivent dans la maison du bord des rails Ildiko, la femme de Pal, ainsi que leurs enfants Imre et Agi.
Pál est l'occupant le plus discret du foyer. Mutique, taciturne, il a été profondément traumatisé par la mort de sa mère, survenue alors qu'il n'était âgé que de neuf ans. Sa femme elle-même prétend qu'il "ne fait pas vraiment partie du monde", et sait qu'elle ne doit pas attendre de lui qu'il la fasse rire ou lui raconte des histoires. Mais elle est émue par sa fragilité, et puis il ne crie pas, ne la bat pas, est toujours ponctuel et d'humeur égal. Cela suffit, non pas à son bonheur, mais à lui procurer une existence sereine et différente de celle de sa propre mère, qui toute sa vie dut subir les coups d'un mari alcoolique.
Le père de Pál, à l'inverse, est un caractériel, qui rumine constamment les griefs qu'il nourrit vis-à-vis de Staline, des russes et des jardiniers !
Mais c'est plus particulièrement sur Imre, le fils de Pál, que se focalise l'intrigue. Cet adolescent frustré, complexé, qui éprouve pour sa soeur aînée une véritable adoration, est né au début des années 70. Nous le suivons pendant quinze ans de sa vie, pendant lesquels nous assistons aux mutations qui bouleversent la Hongrie avec la fin de l'ère soviétique. A l'image d'une société en pleine crise identitaire, plombée par les réminiscences nationalistes et quarante ans de communisme, Imre doit composer avec un passé qu'il n'a pas vécu mais dont ses aînés lui font supporter le poids, par leur nostalgie envahissante ou leur rancune tenace.
Sans doute est-ce pour cela que lui ne s'intéresse guère à l'Histoire... ce qui le préoccupe, c'est son avenir, mais il semble malgré lui entravé par une sorte de léthargie, un désenchantement qui le conduit à s’interdire le bonheur. Et puis l'espoir que, comme beaucoup de jeunes hongrois de sa génération, il plaçait dans l'avènement d'un monde meilleur avec la chute du communisme a été déçu : la vie n'est pas devenue plus vaste, la morosité a perduré, la réalité a conservé ses contraintes prosaïques...
Il émane de "Sombre dimanche" une intense mélancolie. Les habitants de la maison du bord des rails subissent le fardeau d'un destin qui les dépasse. Malgré tout, le roman d'Alice Zeniter n'est pas dénué d'humour. Elle sait rendre le cocasse ou l'absurde de certaines situations, et traquer le caractère parfois burlesque de ses héros pour en jouer et rendre son texte plaisant.
Un joli moment, donc, en dépit d'un propos plutôt dramatique.
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