Oui, je crois qu'il serait dommage de asser à côté de ce livre magnifique.
http://parfumdelivres.niceboard.com/litterature-non-romanesque-par-auteur-f32/daniel-mendelsohn-t1359.htm
Deux extraits du début:
Mais aujourd'hui, je peux voir que la véritable raison pour laquelle je préférais les Grecs, par dessus pous les autres, aux Hébreux, c'était que les Grecs racontaient les histoires comme les racontait mon grand-père. Lorsque mon grand-père racontait une histoire- par exemple celle qui se terminait par Mais elle est morte une semaine avant de se marier- il ne recourait pas au procédé évident de commencer par le commencement et d'en finir par la fin; il préférait la raconter en faisant de vastes boucles , de telle sorte que chaque incident, chaque personnage, mentionné pendant qu'il était assis là , sa voix de baryton déchirante oscillant sans cesse, avait droit à sa mini-histoire, à une histoire à l'intérieur de l'histoire, un récit à l'intérieur du récit, de telle sorte que l'histoire ne se déployait pas ( comme il me l'a expliqué un jour) comme des dominos, une chose se produisant après une autre, mais plutôt comme des boîtes chinoises ou des poupées russes, chaque évènement en contenant un autre, qui à son tour en contenait un autre, et ainsi de suite. D'où le fait, par exemple, que l'histoire qui expliquait pourquoi sa soeur superbe avait été obligée d'épouser son cousin laid et bossu commençait, nécessairement du point de vue de mon grand-père , par l'histoire de son père mourant brutalement , un matin, dans le spa de Jaremcze, puisque c'était après tout le début de la période difficile pour la famille de mon grand-père, des années terribles qui allaient en définitive forcer sa mère à prendre la décision tragique de marier sa fille au fils bossu de son frère, en paiement du prix du passage en Amérique pour commencer une nouvelle vie, mais tout aussi tragique au bout du compte. Bien entendu, pour raconter l'histoire de la façon dont son père était mort brutalement, un matin, à Jaremcze, mon grand-père devait s'interrompre pour raconter une autre histoire, l'histoire de lui et de sa famille, à la période faste, passant des vacances dans certains spas magnifiques à la fin de chaque été, par exemple à Jaremcze, sur les contreforts des Carpates, quand ils n'allaient pas au sud mais à l'ouset, dans les spas de Baden ou de Zakopane,un nom que j'adorais. Ensuite, pour donner une meilleure perception de ce qu'était la vie à l'époque, pendant cette période dorée d'avant 1912 et la mort de son père, il repartait plus loin dans le temps pour expliquer ce qu'avait été son père dans leur petite ville, quel respect il avait inspiré et quelle influence il avait exercée; et cette histoire, à son tour, l'emmenait au tout début , à l'histoire de sa famille à Bolechow depuis que les premiers Juifs y étaient arrivés, depuis la période où Bochelow n'existait pas encore....
Le péché entre les frères
Le 12 août 2001, deux de mes frères, ma soeur et moi sommes descendus d'une Volswagen Passat bleue et exigüe et nos pieds ont touché la terre humide de Bolechow. C'était un dimanche et le temps était mauvais. Après six mois de préparatifs, nous étions enfin arrivés.
Ou, je suppose, revenus.
Presque soixante ans plus tôt exactement- le 1er août 1941- l'administration civile de ce qi avait été autrefois le district de la Galicie des Habsbourg, région où se trouvait la ville de Bolechow, avait été transférée aux autorités allemandes qui, après la rupture du pacte germano-soviétique, avaient fait machine arrière et envahi la Pologne orientale deux mois plus tôt, et mettaient à présent les choses en ordre. Peu de temps après- peut être vers la fin du même mois d'août et certainement en septembre 1941- les plans pour la première Aktion dans la région , c'est à dire l'assassinat en masse des Juifs, avaient commencé à prendre forme. Ces actions étaient prévues pour le mois d'octobre. L'Aktion pour Bolechow a eu lieu les 28 et 29 octobre 1941.
Un millier de Juifs environ y ont péri.
Sur ce millier, il y en a un qui m'intéresse en particulier.
Le 16 janvier 1939, Shmiel Jäger s'est assis pour écrire une lettre désespéré à un parent à New York. C'était un lundi. Il y a eu d'autres lettres écrites par Shmiel à safamille aux Etats-Unis , mais c'est cette lettre, je m'en rends compte à présent, qui contint toutes les raisons pour lesquelles nous sommes revenus à Bolechow. Plus que tout, c'est elle qui fait le lien avec les deux autres dates: les préparatifs qui ont porté leurs fruits en août 2001, les plans qui ont été mis en place en août 1941.