Le propos de Jean Grenier (1898-1971) est confus. Le narrateur prend d’ailleurs soin de demander au lecteur s’il s’est bien fait comprendre. La lecture de l’inclassable récit de Jean Grenier n’en est pas pour autant heurtée. Les 155 pages défilent au rythme d’une écriture faussement limpide et de courts chapitres trompeusement intitulés : « Les îles Kerguelen » ; « Les îles Fortunées » ; « L’île de Pâques »… Il n’y aura pas de voyage, même imaginaire, dans ces lieux prometteurs. Il s’agira bien plus de rendre intelligibles des concepts philosophiques où les rapports de l’homme à la société, à la nature et à la mort sont esquissés. Il n’est pas difficile de ressentir l’engouement de Camus envers le livre et l'homme (l’auteur de La Peste a l’enthousiasme contagieux dans sa préface de 1959) mais il est plus délicat de le comprendre. La mise à mort du chat Mouloud, au fond d’un sac, dans la quasi indifférence, pour une raison futile, peut faire écho à L’Etranger. Plus loin, l’oisiveté de Grenier, « glandant » en Italie et s’étonnant que les hommes s’échinent au travail au lieu de s’extasier comme lui face aux beautés du pays, est tout simplement renversante : « Quel dommage que dans un décor si poignant, tout le monde, ou presque, soit en ce siècle occupé à travailler… il faut se contenter de jouir, de souffrir et d’exprimer ». Grenier est un contemplateur qui éprouve la nécessité de s’isoler afin que sa vie intérieure puisse se déployer. Agir est inutile. Apprendre est méprisable « mais il n’est pas méprisable d’apprendre le jeu de patience qui nous fait attendre la fin ». Jean Grenier tente de concilier la permanence du désir à la finitude de l’homme. En dépit d’une abondante moisson d’auteurs, d’une culture ouverte, l’individu est muré dans une solitude ontologique. L’envoûtement que procure ce livre se situe probablement dans la trame du tissu narratif, là où s’entortille une sourde nostalgie à une mélancolie sans limite.
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