Dans la foule
Les Editions de Minuit
D'abord, dès les premières pages, il y a l'écriture, oui, qui surprend. Hachée, parlée, mais fluide et très minutieuse, très avide de détails. Duras, dis tu, Coline? Moi, j'ai pensé à Céline.
Mais aussi le thème abordé. Parce que d'emblée, c'est comme dans un policier, on sait que ça va mal finir. Qu'il y a au moins un des personnages de ce roman choral , un de ceux qui se présentent eux-même dès le début du livre ,qui va finir comme sur les images que personne ne peut oublier, écrasé par la foule sous l'assaut des supporters anglais, le corps piétiné et les poumons explosés.
Alors lequel , ou lesquels? Il y a les Belges, Gabriel et Virginie, si heureux d'avoir récupéré des billets et qui se les font voler par les deux compères pas bien méchants Tonino l'Italien et Jeff, l'orphelin de père. Il y a le couple italien en voyage de noce Tana et Francesco, qui ne sont pas passés par l'église pour se marier, et est ce que la mère de Francesco dira que c'est une punition divine, quand elle apprendra la mort du fils ? Cours, Tana, cours, ce seront ses dernières paroles...
Et puis il y a les frères de Liverpool, ils sont trois. Deux boeufs, et puis le jeune, qui ne voulait pas venir, mais le père y tenait, qui ne voulait pas courir, et qui l'a fait quand même, qui voudrait bien haïr ses frères, mais qui les aime quand même.
D'emblée, on panique. On attend le désastre. Et c'est dans les longs monologues intérieurs de chacun de ces personnages que l'on assiste au chaos, aux cris et à la fuite, puis à la solitude et au deuil.
C'est bouleversant.
Un petit extrait:
Mes parents seront l'un et l'autre comme des enfants qui ne comprennent pas les rites et les conversations d'un groupe d'adolescents, ou, plutôt comme des vieux un peu pantelants et tremblants, tout gringalets, sur des chaises en rotin qui craquent autant que leurs os ou les idées qu'ils se font pour soutenir un monde qu'ils ne comprennent plus. Et moi, je les regarderai avec ce sentiment de partager avec eux la désolation d'une époque qui s'enorgueillit de sa bêtise et de son sens du spectacle. J'aurai la calme commisération qu'éprouve vis à vis de la faiblesse celui qui voit les rouages entraîner dans leurs mouvements des gens qui ne peuvent ou ne savent pas lutter, des gens nus comme des papillons qu'on épingle sur un tableau au-dessus d'un nom savant qu'ils ne servent qu'à illustrer, eux, avec leur coeur de chair et de sang, tout leur corps, de leurs yeux mouillés à leurs mains crispées, et les mines effarées derrière lesquelles ils rabâchent quelques idées pour se bricoler une vie....
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