[Le Combat ordinaire. T. 2, Les Quantités négligeables | Manu Larcenet]
Le Combat ordinaire (pour vivre et peut-être survivre) continue à travers un second tome intitulé fort à propos Les quantités négligeables. La même mécanique narrative bien fluide découpe les tranches de vie de Marco et glisse entre deux bouffées d'optimisme une bonne marmelade d'angoisse. Tout est déjà sur des rails dès le premier tome : la maladie d'Alzheimer du père, le désir d'enfant d'Emilie, les doutes existentiels et professionnels de Marco, les rapports fraternels... La force du récit tient en partie à la simplicité expressive du dessin liée à la teneur du propos parfois terrible. Ainsi, quand Antoine, le père de Marco, s'imagine sa femme Suzanne enceinte et dit, avec un faux air de Mister Magoo : "Quoi qu'il nous arrive, je ne veux jamais renoncer à ta beauté...", Marco surprend cette scène régressive et finit par absorber ses pilules d'anxiolytique afin d'endiguer l'angoisse qui menace de l'ensevelir. Marco est encore spectateur lorsqu'il retourne chercher son sac oublié à la galerie de photographies et entend ce que les trois autres photographes pensent de son travail. Les compromissions et l'hypocrisie haranguent constamment le jeune photographe. Emilie appuie à son tour là où ça fait mal à propos du vieux Mesribes, ancien des services de renseignements français en Algérie : "Qu'est-ce que c'est que cette éthique à la con qui te fait sacrifier un ami à cause d'un passé auquel il a définitivement renoncé ? L'éthique c'est bien mais c'est un peu comme la logique : c'est trop simple pour intervenir dans les rapports humains..." Vivre salit les mains. Jean-Paul Sartre n'aurait pas dit le contraire. La scène d'enterrement, muette, est poignante. Le cargo porte-conteneurs qui passe au large en contrejour ressemble à l'antique bateau des morts. La portée de l'histoire est aussi accentuée par les passages elliptiques d'une planche à l'autre. La mort du chat dans le premier volume n'était donc pas une hallucination. Manu Larcenet ne revient pas sur l'épisode mais l'absence d'Adolph est criante dans le second volume. Cette bande dessinée est pleine de retenue et de pudeur, loin de toute vulgarité tapageuse. Elle avance en funambule, au-dessus du maelström aux clichés et de la fosse au pathos. L'auteur ne doit pas lâcher son fil. On peut aussi être un grand artiste et un homme bon. Ici, l'auteur semble se confondre avec son oeuvre.
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