Journal de bord ou carnet de naturaliste ? Le petit livre oblong d'Hervé Hillard paru chez Actes Sud en 2002 dans la collection Conservatoire du littoral s'intitule sobrement Chausey. La couverture à rabat se déplie et une carte aquarellée succincte montre l'archipel Chausey à marée basse. Le sommaire pose des jalons étymologiques, géographiques, historiques : "De la Percée à la Déchirée" ; De l'eau pas douce et des rochers durs" ; "Des pierres dressées aux pierres taillées" afin de se repérer dans l'archipel normand (au coeur de la baie du Mont-Saint-Michel), entre "les petites îles verdoyantes, sauvages et inhabitées, plages douces, grunes [rochers couvrant et découvrant], récifs et caillasse, bancs de sable, champs d'herbiers, vasières, chenaux à sec, plaines limoneuses" soit 50 kilomètres carrés découverts à marée basse, au fond de la mer. Six heures plus tard, 14 mètres d'épaisseur d'eau recouvriront presque tout, laissant 65 hectares de terres émergées dont 46 ha pour la Grande Île, la seule habitée en permanence. Le marnage est impressionnant et bat des records. Mieux vaut être vigilant dans ses déambulations : "Dès qu'une mousse légère frange la mer, juste à la lisière du sable... le flot a commencé son oeuvre de reconquête". La lecture permet d'entrevoir un monde qui s'esquive et se dérobe sans cesse, au fil des heures, des jours et des saisons. Même la cartographie est incomplète. Les cartes sont annotées par les Chausiais eux-mêmes. Ont été ajoutés manuellement les appellations locales, une grune oubliée ou encore un banc de sable migrateur. L'exploitation du granit, du goémon, la pêche à pied ne sont pas oubliées par l'auteur, résident de l'île. Le style journalistique est alerte et plaisant. Le lecteur est emmené par la main et les mots avec déférence. L'information est précise, concise, dense, jamais pesante. Parfois, il suffit de peu de chose pour entrouvrir les portes d'un monde labyrinthique forcément fascinant avec des paysages évanescents mis en abyme dans un simple trou d'eau.
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