Il y a Chalamov le déporté, l'auteur des
Récits de la Kolyma où il témoigne de sa vie dans les camps de Sibérie sous le régime stalinien.
Ici, c'est comme lecteur et amoureux des livres qu'il prend la parole, déroulant pour nous le fil de son existence sous cet unique éclairage : les livres dont il a croisé la route, les bibliothèques qu'il a fréquentées. Un parcours passionné, mais étrange aussi, triste, saccadé : lorsque la prison puis les camps font disparaître le "vernis de la civilisation", les livres cessent d'exister. A plusieurs reprises, Chalamov reste des années sans voir un seul livre, il désapprend même la lecture. Mais quand enfin il quitte les mines, le plaisir de lire est une des premières choses qu'il redécouvre. Ses épreuves, ses errances ne sont néanmoins pas terminées, et Chalamov reste pour ses lectures à la merci d'éventuelles bibliothèques publiques à la gestion souvent hasardeuse - bien heureux malgré tout quand il peut en profiter.
Ce petit livre m'a énormément touchée. Chalamov n'insiste pas ici sur les souffrances du déporté, sur le froid, la faim ou le travail épuisant ; sur un ton très sobre où perce néanmoins l'émotion de l'amoureux des livres, il nous fait partager l'expérience d'un homme qui, pris dans la tourmente du régime stalinien, n'a jamais pu vivre pleinement sa passion. Et c'est avec un gros pincement au coeur que j'ai refermé l'ouvrage sur cette conclusion poignante :
"Les livres sont ce que nous avons de meilleur en cette vie, ils sont notre immortalité.
Je regrette de n'avoir jamais possédé ma propre bibliothèque."
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