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[A la poursuite du _Thunder_ | Eskil Engdal, Kjetil Saeter]
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Posté: Hier, à 11:29
MessageSujet du message: [A la poursuite du _Thunder_ | Eskil Engdal, Kjetil Saeter]
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Les actualités mentionnent parfois le nom de Paul Watson, fondateur de l'ONG Sea Shepherd qui s'est illustrée depuis la fin des années 1970 notamment dans la chasse aux baleiniers par des pratiques assez proches de la piraterie, allant jusqu'à éperonner et couler plusieurs navires de pêche, et se retrouvant en cavale à redouter l’extradition au Japon... Au fil des décennies, alors que la conscience environnementale concernant le dépérissement de la faune océanique croît auprès de l'opinion, que des traités internationaux sont ratifiés pour protéger les espèces en danger d'extinction et que, notamment par le truchement et sous la coordination d'Interpol, les polices nationales d'un certain nombre de pays autrefois peu regardants commencent à se mobiliser (à leur rythme...) de par le monde, la pêche illicite se transforme en un véritable business mafieux, très juteux au demeurant, organisé selon les structures et les méthodes habituelles des trafics : intimidations diverses, documents falsifiés, blanchiment d'argent, sociétés écrans, États complaisants, administrations corrompues, etc.. En contrepartie, la flotte de Sea Shepherd, forte de dons privés et de financements venant des quatre coins de la planète, augmente en effectifs, en pugnacité et en impact médiatique (pour le meilleur et pour le pire), et elle adopte des modes opératoires plus orthodoxes, consistant notamment dans le repérage, l'identification, la collecte et divulgation de preuves d'infractions, la poursuite des chalutiers soupçonnés de braconnage, en collaboration avec Interpol et les pouvoirs régaliens, afin de les livrer aux autorités judiciaires.
Cette enquête conduite par deux journalistes norvégiens – pays dont la législation est devenue un peu plus vertueuse en matière de pêche d'espèces protégées – relate principalement la traque par le navire _Bob Barker_ de l'association au pavillon composé d'une tête de mort surmontant le trident de Neptune et le bâton du berger, du chalutier _Thunder_, l'un des « 6 Bandits » qui braconnaient impunément la légine australe dans les eaux de l'Antarctique : une traque ayant duré 110 jours - « la plus longue traque de l'histoire maritime » -, sur 15.000 kilomètres de la banquise méridionale jusqu'aux eaux territoriales de São Tomé en Afrique occidentale, en passant par le cap de Bonne-Espérance, et s'étant conclue de façon un peu décevante par l'auto-sabordage dudit navire et par très peu de peines judiciaires, in fine non appliquées. Cependant, l'enquête met à jour de la façon la plus complète possible, au rythme haletant d'une investigation criminelle avec tous les rebondissements du genre, à la fois le contexte des activités mafieuses liées au braconnage en mer, et tous les personnages hauts en couleur à mesure qu'ils apparaissent dans le récit – les truands galiciens, les capitaines chiliens, les activistes scandinaves, les marins indonésiens, les flics africains, les officiers néo-zélandais et les anciens explorateurs antarctiques des siècles passés... Sans oublier naturellement le côté aventureux de la poursuite dans les mers déchaînées et glaciales proches du pôle Sud, poursuite de pirates perpétrée en vérité par d'autres quasi-pirates, qui ne font pas que s'envoyer réciproquement des injures à la Capitaine Haddock... Les situations politiques de pays assez mal connus, comme la Guinée équatoriale et São Tomé, de certains paradis fiscaux et autres pourvoyeurs de pavillons de complaisance improbables – tels la Mongolie qui n'est pas vraiment connue pour être une puissance maritime, au moins depuis l'époque de Genghis Khan (!), sont également décrites pour le plus grand plaisir du lecteur curieux de la mer et/ou de la criminalité organisée.



Cit. :


1. « L'opération Spillway est le résultat d'un travail de lobbying long et acharné de la part de quelques bureaucrates et écologistes. Pendant longtemps, la criminalité liée à la pêche n'avait pas été prise au sérieux, ni ne constituait une priorité pour les forces de police, malgré son caractère incontestablement mafieux. Les documents des navires et les protocoles de pêche étaient falsifiés, les inspecteurs et les autorités portuaires soudoyés. Les équipages des bateaux étaient liés par des contrats d'esclavage et les bénéfices blanchis au travers de structures d'entreprises impénétrables. Cette activité illégale générait plus de 20 milliards de dollars par an.
En 2012, la Norvège et les États-Unis prirent l'initiative de créer un comité chargé de combattre les pratiques criminelles en mer – "la pêche illicite, non déclarée et non réglementée". Le même automne, Interpol mena sa toute première opération secrète contre les braconniers. Les contrôleurs des pêches de tous les pays membres d'Interpol rassemblèrent des pièces d'un immense puzzle. Ils enregistrèrent les arrivées des bateaux et les déclarations de captures, les navires braconniers firent l'objet d'une surveillance aérienne, dans certains ports des listes d'équipages furent collectées, dans d'autres ce furent des amendes. […]
Un groupe de bateaux devint bientôt la cible prioritaire d'Interpol : une flotte de chalutiers et de palangriers qui pillait les réserves de légine australe dans les eaux de l'Antarctique. C'était probablement l'offensive de braconnage en mer la plus protifable et la plus longue de l'histoire. » (pp. 44-45)

2. « Le navire dispose de deux jeux de documents. L'un d'eux est caché derrière une trappe dans la cabine d'un matelot indonésien. À bord, il y a aussi des pièces maritimes prétamponnées et présignées que les officiers peuvent remplir eux-mêmes au cas où ils auraient besoin rapidement d'une nouvelle identification. Ils ont une mini-imprimerie sous forme d'un assortiment de sceaux et un carton rempli de drapeaux de différents pays tels que la Guinée équatoriale, l'île Maurice et le Panama.
Les informations sensibles des ordinateurs de la timonerie sont stockées sur des disques durs externes faciles à dissimuler ou à jeter à l'océan, et tous les reçus émis par l'agent maritime à Batam sont déchirés et jetés par-dessus bord. Si ces informations venaient à tomber entre de mauvaises mains, cela pourrait mener à la découverte de l'identité du véritable propriétaire du bateau.
Au cours des dix années qui ont précédé, le navire a porté au moins dix noms différents et été enregistré dans au moins cinq pays. Le _Kunlun_ est un récidiviste flottant et invétéré, un pionnier dans ce qui est devenu l'activité de braconnage maritime la plus lucrative au monde. Il a reçu une amende en Afrique du Sud en contrepartie de la saisie d'une cargaison de requin pêché illégalement. Il a été placé sur la liste noire d'Interpol et déclaré indésirable dans de nombreux ports de la planète. Pour finir, le _Kunlun_ mène ses activités dévastatrices de manière si ouverte et éhontée que le cas du chalutier a même été débattu au parlement australien. » (pp. 88-89)

3. « Le _Kunlun_ navigue sous pavillon de la Guinée équatoriale dans des eaux internationales. Pour pouvoir monter à bord du chalutier, le commandant MacLean [capitaine du bâtiment de guerre néo-zélandais _Wellington_] doit préalablement obtenir la permission de l’État dictatorial africain. En raison du décalage horaire, José Regueiro Sevilla [le capitaine de pêche du _Kunlun_] espère que cela prendra au moins douze heures avant que les autorités de la Guinée équatoriale ne répondent au téléphone.
Face aux caméras du _Wellington_, l'équipage indonésien du _Kunlun_ commence à remonter les filets maillants, mais les conditions météorologiques se dégradent, ils finissent par couper les filets et en abandonner la moitié derrière eux. À tout moment, le _Wellington_ peut recevoir un appel les informant que les documents guinéens sont faux. Et alors, ils n'auront plus besoin d'aucune permission pour monter à bord du _Kunlun_. C'est la raison pour laquelle Alberto Zavaleta Salas lance le _Kunlun_ à plein régime vers le nord. S'ils parviennent à attirer le vaisseau de guerre, les deux bateaux avec lesquels le _Kinlun_ coopère, le _Yongding_ et le _Songhua_, pourront retourner récupérer les quatre filets abandonnés.
Six jours plus tard, le capitaine Zavaleta voit le _Wellington_ changer de cap. MacLean a repéré le _Yongding_ en train de pêcher au milieu des glaces dérivantes. Le commandant du _Wellington_ a enfin obtenu une réponse : la Guinée équatoriale n'a trouvé aucune trace des différents navires de la flotte pirate dans son registre et autorise la marine néo-zélandaise à les aborder. MacLean contacte le _Yongding_ et demande la permission de monter à bord, mais essuie un refus.
À cause du brouillard et de vagues atteignant 3 mètres de haut, MacLean juge qu'il serait trop dangereux d'aborder le _Yongding_ par la force. Et comme il n'a pas non plus assez de carburant pour le pourchasser, il décide de rentrer en Nouvelle-Zélande. Cependant, il a filmé et constaté l'activité de pêche illicite. Interpol va pouvoir être informé et émettre des avis de recherche pour les trois navires hors-la-loi.
À bord du _Bob Barker_, la nouvelle du retrait du _Wellington_ est accueillie avec incrédulité. […] Paul Watson décide de répliquer. "Le commandant MacLean s'est une fois de plus lamenté auprès des médias à propos des mauvaises conditions météorologiques et des dangers potentiels. Peut-être essaie-t-il de convaincre l'opinion publique qu'il a remporté un succès retentissant, mais la réalité, c'est que son intervention pathétique et pleutre s'est soldée par un échec", écrit Watson dans un communiqué de presse.
Watson s'interroge également sur les raisons pour lesquelles le _Wellington_ n'est pas retourné dans l'océan Austral après avoir rempli ses réservoirs de mazout. "Je parie que la marine et le gouvernement néo-zélandais ne feront rien – qu'ils laisseront des bénévoles, dont leurs compatriotes engagés volontairement sur les bateaux de Sea Shepherd, prendre les risques à leur place et assumer les responsabilités qu'ils ont fuies."
En termes de communication, l'incident survenu dans l'océan Austral est une véritable catastrophe pour le gouvernement néo-zélandais. » (pp. 117-119)

4. « Le rêve de Hammarstedt était d'escorter le _Thunder_ jusqu'à un port où la police locale et Interpol auraient accueilli ces criminels avec des menottes et des cellules vacantes. Maintenant, selon toute vraisemblance, il va devoir sauver l'équipage, tandis que les preuves de leurs activités de pêche illégale disparaîtront par 4000 mètres de fond. Mais un signal de détresse a été envoyé et a probablement été capté par beaucoup de monde. En tant que capitaine, il se doit de gérer correctement cette situation d'urgence.
Un chalutier ne se met pas à prendre l'eau soudainement par beau temps et vent calme. Mais quel genre de capitaine peut saborder son bateau ? À quel point sont-ils désespérés ? Et que peut-il faire pour sauvegarder les preuves qui se trouvent certainement encore à bord du _Thunder_, comme le poisson, les ordinateurs, les registres, les téléphones, les cartes maritimes, et le matériel de pêche ? » (p. 257)

5. « En apparence, cela ressemble à un acte osé, mais en réalité, c'est d'une simplicité ridicule. Du jour au lendemain, le _Kunlun_ a disparu. Cinq hommes à bord démarrent le moteur, lèvent l'ancre et fuient les amendes portuaires, les mandats d'arrêt et les vaisseaux de guerre thaïlandais. Six cent cinquante tonnes d'acier recherchées par Interpol et capturées en Thaïlande se sont évaporées.
Lorsque le capitaine José Regueiro Sevilla quitte la touristique île tropicale de Phuket à bord du _Kunlun_, le matin du 8 septembre, il emporte 181 tonnes de légine australe qui ont été saisies par les autorités six mois plus tôt. Dans ses réservoirs, le chalutier a 80 000 litres de mazout qu'il a reçus récemment avec l'approbation des autorités de Phuket. Si celles-ci avaient voulu que le navire disparaisse, elles ne s'y seraient pas prises autrement.
Lorsque la nouvelle de cette évasion atteint Peter Hammarstedt, il ne sait pas s'il doit rire ou pleurer.
"Pfff...", répond-il aux auteurs de l'e-mail. Puis il déverse un torrent de critiques sur le site Internet de Sea Shepherd – pas à l'encontre de la Thaïlande, mais des deux pays qui, selon lui, auraient dû s'investir davantage pour arrêter le bateau et saisir sa cargaison. "Quand nous avons critiqué l'Australie et la Nouvelle-Zélande pour ne pas avoir arraisonné le _Kunlun_ en pleine mer, les autorités de ces deux pays ont affirmé devant la communauté internationale que les contrôles portuaires étaient le moyen le plus efficace de lutter contre les braconniers. Si le bateau avait été arraisonné par l'Australie ou par la Nouvelle-Zélande, la cargaison n'aurait jamais été restituée. Mais l'Australie et la Nouvelle-Zélande, par leur refus d'arrêter le _Kunlun_ et de saisir ses captures en mer, ont permis à cette opération de braconnage de continuer et aux pirates de tirer profit de leurs crimes."
Après cela, Hammarstedt et Sid Chakravarty décident de se lancer à la recherche du _Kunlun_. » (pp. 321-322)

6. « Lorsque Miguel Pacheco cumule les chiffres des différents rapports, il se rend compte que les trois chalutiers, de 2010 à 2015, ont pêché 5.800 tonnes de légine, pour une valeur de 81 millions d'euros. D'après des renseignements fournis par les informateurs, cela coûtait à la compagnie maritime environ 2 millions d'euros par an d'envoyer trois navires en Antarctique. Même en prenant en compte ce que lui coûtaient les escales, le stockage et le transport du poisson en Asie, la compagnie réalisait des bénéfices astronomiques.
[…]
La compagnie maritime a employé la méthode suivante pour rapatrier ses fonds en Espagne, une fois blanchis. Quand le poisson est arraché à l'océan, il devient la propriété de la compagnie qui possède le navire – des sociétés enregistrées dans les paradis fiscaux que sont le Panama et le Belize. Puis, les Vidal vendent le poisson à une compagnie en Suisse, qu'ils contrôlent personnellement. Cette compagnie revend le poisson à des négociants. Grâce au matériel saisi, la garde civile a pu identifier dix sociétés à Hong Kong et à Taïwan qui ont acheté de la légine à la compagnie suisse de la famille Vidal. Après que le règlement avait été effectué sur un compte à Hong Kong, l'argent était transféré vers les compagnies espagnoles des Vidal. Là, des millions ont été dépensés en investissements dans l'immobilier, les énergies renouvelables et l'usine d'huile de poisson de Boiro – créée notamment grâce aux 6,6 millions d'euros de subventions versées par l'Union européenne et les autorités espagnoles, comme le proclame l'énorme plaque installée près du portail d'entrée. » (pp. 370-372)

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