La thèse de cet essai est que la métamorphose de la famille dans société postindustrielle, avec l'émergence de l'enfant conçu comme personne et de la femme comme sujet social et économique, avec l'évolution des représentations des genres ainsi que celle des fonctions et des rôles parentaux sans que ceux-ci soient référés au sexe, et enfin avec le découplage possible entre sexualité/procréation et filiation/alliance, cette métamorphose est en train d'engendrer une « polyculture de la parentalité » caractérisée par la complexité. Si la « paternité relationnelle », en passe de se substituer à la « paternité institutionnelle » est globalement valorisée par tous, les normes institutionnelles et notamment les conditions du salariat peinent encore à reconnaître aux pères ce nouveau rôle, la maternité étant toujours surinvestie et assignée à une exemplarité d'autant plus exigeante qu'elle est supposée volontaire et choisie, et les femmes elles-mêmes tendent à dénier la légitimité des hommes à exercer cette paternité autonome, engagée, fondée sur la qualité du lien affectif avec l'enfant, soit comme représailles dans le cadre de la séparation, soit par conservatisme, dans une vision archaïque du rôle symbolique du père, qui ne s'impliquerait dans le quotidien notamment du nouveau-né que pour les « aider » et donc in fine par amour pour elles. Par ailleurs, la sur-responsabilisation des mères, le volontarisme accru de certains pères, une certaine évolution judiciaire suite au militantisme associatif des pères séparés (garde alternée, etc.), interviennent dans un contexte caractérisé par la persistance de la domination masculine, d'une très imparfaite démocratie domestique et des anciens modèles de rôles genrés inhérents au patriarcat. Le malentendu sur la paternité relationnelle serait plus prononcé encore dans la version de la culture de la parentalité appartenant aux classes populaires et à la filiation précoce.
Alors que « tombent les masques » du virilisme, que la culture des hommes évolue en opposition générationnelle par rapport aux pratiques de leurs propres pères, alors que la filiation s'individualise et que la parité parentale suit son cours, sont mentionnés souvent – mais jamais abordés directement – les nouveaux modèles familiaux : monoparentalité, « beau-parentalité » (dans les familles recomposées), homoparentalité.
L'autrice est une spécialiste reconnue et très citée de la sociologie de la paternité. Déçu par la lecture d'un livre récent qui m'a paru trop vulgarisateur, je me suis tourné sur cet essai plus ancien, désormais daté, dont la parution aux PUF me promettait plus de solidité : j'ai le regret de n'avoir toujours pas « accroché » avec Castelain Meunier. En résumant ci-dessus des contenus qui honnêtement ne me semblent pas extrêmement originaux, je crains n'avoir pratiquement rien négligé, ce qui implique une incessante répétition sur moins de 200 p., étayée par une enquête dont l'annexe ne donne pas l'impression d'être mémorable et une bibliographie guère plus impressionnante. Le désagréable sentiment de « tourner autour du pot » a généré dans les premières pages une attente de lire des approfondissements, ensuite, jusques et y compris dans la conclusion, un profond ennui. Peut-être l'ouvrage le plus significatif de l'autrice était encore précédent, mais dans ce cas-là il aura perdu toute actualité.
Cit. :
« Dans la société rurale, traditionnelle, l'enfant était le garant de la continuité et du maintien de la tradition. Dans la société industrielle, il prolongeait le développement économique de celle-ci, du savoir et des techniques. Dans la société postindustrielle, c'est-à-dire aujourd'hui, l'enfant prolonge l'affirmation identitaire de l'adulte et symbolise le changement. Il prend place en tant qu'extension de l'adulte et non de la communauté ; il est sollicité dans une dynamique qui assure la pérennité de l'adulte, son déploiement. On le sollicite comme étayage identitaire.
D'où la nécessité de rétablir l'équilibre en permanence, en faveur de l'enfant, au nom de son intégrité physique, psychique, c'est-à-dire de son unicité et de son unité, en tant que personne et sujet. Il n'est pas étonnant que l'on ait sans arrêt besoin de faire référence à la notion d'intérêt de l'enfant. C'est un nouveau leitmotiv, une référence fourre-tout qui donne bonne conscience, mais surtout qui en dit long sur l'absence de prise en compte, à l'échelle collective, de la place de l'enfant. C'est aussi l'expression du malaise qui entoure la place de l'homme et de la femme en tant que père et mère autour de l'enfant, qu'il s'agisse de parentalité biologique et/ou sociale ou encore du partage de l'éducation, quel que soit le lien de parenté. C'est aussi le témoignage des interrogations qui entourent l'exercice des fonctions parentales et l'expression de l'angoisse face au contenu de la transmission et à l'inflation des modèles. » (p. 22)
« Les modèles culturels qui accompagnaient les contours de la paternité, qu'elle soit traditionnelle ou industrielle, perdent leur légitimité. L'incidence n'est pas négligeable et nécessite, comme de nombreux ouvrages en témoignent, d'orienter la réflexion vers la place, la part, la fonction et le rôle du père. […] Au vu de la nouvelle donne des rôles entre l'homme et la femme, ce qui régit la paternité aujourd'hui, c'est le contrat de loyauté qui relie l'enfant à son père, c'est la conscience paternelle, là où la paternité relationnelle prend le pas sur la paternité institutionnelle.
Mais le bien-fondé d'une paternité relationnelle fait défaut, dans la mesure où les valeurs, l'éthique, susceptibles de la légitimer manquent. Elles sont à créer ou, plutôt, elles surgissent des cendres de modèles qui ont fait leur temps, dans une société qui n'en demeure pas moins toujours à domination masculine. Le lien à l'enfant demeure symbole maternel, alors même qu'il devient moyen et manière d'être père. Ce lien est loin d'être encouragé dans sa nouvelle dimension. Rares sont les endroits qui reconnaissent la place du père dans ce sens. » (pp. 33-34)
« [Au cours des entretiens menés auprès des classes moyennes...] Les hommes décrivaient la paternité comme un passage à la maturité accompagné de nouvelles responsabilités économiques, morales et relationnelles, prenant sens autour d'une nouvelle manière de se projeter eux-mêmes dans l'avenir. Mais ces pères évoquaient leur paternité en ayant le sentiment "d'innover" par rapport aux générations précédentes, notamment par rapport à leur propre père. Ils faisaient état de pratiques spécifiques reflétant la diversité de leurs interventions (activités ménagères, soins corporels aux enfants, échanges affectifs, jeux, activités cognitives...). Avoir choisi de faire un enfant était vécu comme un choix conjoint et constituait une argumentation qui corroborait leur sentiment d'engagement, de responsabilité.
Cette implication était aussi évoquée autour du suivi de la grossesse de la femme, de la participation à l'accouchement. […]
Ils s'interrogeaient sur ce qui relevait de leur pratique ou pas (par exemple, se lever la nuit pour aller chercher l'enfant afin que la femme l'allaite...). Les récits des pratiques s'inscrivaient autour d'un questionnement qui se situait au cœur de l'intimité et du quotidien domestique, mais aussi autour de la conception de leur mode de vie en général. […]
Jusqu'où pouvaient-ils envisager de partager les sensations et les émotions de leur femme, de soulager leurs angoisses ? Jusqu'où s'immiscer dans le duo mère-enfant ? […]
La fierté et la satisfaction de la responsabilité assumée dans l'autonomie par rapport à la femme au sein de l'espace domestique, en son absence, étaient fortement exprimées. […]
Cela constitue la deuxième face de la paternité : la paternité dans l'autonomie, la première étant la paternité dans la complémentarité, l'interaction directe autour de la négociation du partage des tâches, des rôles. La construction du lien affectif avec l'enfant dès son plus jeune âge apparaissait comme un enjeu significatif de la paternité contemporaine, une garantie à l'exercice de la paternité. » (pp. 81-82)
« Cette caractéristique de la paternité [le lien affectif avec l'enfant et le partage des rôles et des tâches] s'inscrit au cœur du domestique auquel les pères ont le sentiment de participer, alors qu'il existe une perception très différente de leur participation selon qu'elle est mise en scène par l'homme ou par la femme. La femme se définit comme chef d'orchestre au foyer. Elle mobilise son énergie, son intelligence, sa sensibilité dans ce sens, continuant ainsi la double journée (travail salarié, travail domestique) autour du souci de l'organisation domestique et de la préoccupation des enfants. L'homme, en "aidant", témoigne pour elle de sa bonne volonté. Il se met à la disposition de la femme et de l'enfant lorsqu'il est présent et disponible. […] Il ne s'agit pas d'un véritable partage. Les discours des hommes et des femmes témoignent de ce profond décalage qui rappelle l'épaisseur historique des différences culturelles entre les sexes. » (p. 83)
[Des mères célibataires volontaires:] « Le nombre de femmes mettant ainsi les enfants au monde aurait tendance à augmenter (et pourrait constituer à l'avenir un nouveau genre familial). Tout se passe comme si le choix désormais possible de l'enfant pouvait amener la femme à chercher à contourner les difficultés contemporaines inhérentes à l'articulation entre le conjugal et le parental en se passant de la cohabitation avec le père de l'enfant.
La peur des inégalités entre l'homme et la femme, la peur des différences de conception, de la domination masculine, et les particularités de l'histoire personnelle convergent vers des situations qui mettent en scène la mère et l'enfant comme s'il s'agissait de monoparentalité se limitant au duo mère-enfant autour duquel gravitent des personnes plus ou moins familières. » (p. 91)
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