Masque d’or.
L’amour et l’échafaud qui irradient et hantent « Casque d’or » (1952), le film poudré de mélancolie de Jacques Becker se reflètent aussi dans la grande œuvre de Jean-Marc Rochette, « La dernière reine », une bande dessinée en apesanteur, d’une beauté formelle et narrative époustouflante. On peut juste regretter que la justice française au début du XXe siècle soit montrée aussi brutale, expéditive, condamnant sans preuve et sans repentir. L’histoire commence par le rejet d’une demande de grâce que le condamné semble accueillir avec un sourire, à la prison Saint-Joseph de Grenoble. Les dernières pages du récit aboutissent au procès expéditif dont est victime Edouard Roux mais les ultimes pages de la bande dessinée dressent des portraits d’animaux sauvages du Vercors avec une focale sur les regards habités de l’aigle, du loup, du cerf, de l’ours, quasi extraterrestres pour les hommes qui n’ont jamais su leur poser les bonnes questions et les comprendre. Edouard Roux sort du lot commun. Sa famille et ses ancêtres habitent le Vercors depuis des temps immémoriaux. Ils en connaissent les recoins et les secrets qu’ils se lèguent le moment venu. Ils font corps avec le paysage et toutes ses composantes dont les animaux et plus particulièrement l’ours dont Edouard pourrait être une réincarnation mais la guerre des tranchées l’a brisé. Son visage a été fracassé par une explosion. Il a honte et comme Elephant Man, il porte un sac sur la tête. Un jour, pourtant, il entend parler d’une sculptrice sur Paris qui fait des miracles en recomposant des visages défaits. Edouard rencontre Jeanne Sauvage, l’artiste au cœur d’or et leur vie en est bouleversée.
Dire que « La dernière reine » est un chef d’œuvre ne paraît pas usurpé. Le trait puissant et charbonneux de Jean-Marc Rochette, davantage que ses couleurs plus expressives dans les deux premiers volumes de sa trilogie sur la montagne, empoigne le lecteur et ne le lâche plus, même dans son sommeil. La mise en page est si puissante qu’il est impossible de ne pas être étreint et marqué par certaines cases. Rochette s’est totalement investi dans son travail. Il apparaît même lors de la chasse à l’homme en fin de volume. Il existe beaucoup de similitudes entre le personnage principal et l’auteur, tous deux gueules cassées, aspirant à la magnificence des cimes et des silences. La splendide Jeanne Sauvage est inspirée de Jane Poupelet (1874-1932), sculptrice de masques pour les soldats mutilés. Avec ce volume, clef de voûte de sa trilogie, Jean-Marc Rochette atteint une hauteur artistique et spirituelle qui ne peut qu’irriguer les œuvres futures où rien ne saura être superflu.
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