Au fondement de ce long essai touffu, il y a deux postulats : 1. Si notre système économique et productif est jusqu'à présent voué à l'épuisement des ressources, matérielles et énergétiques, car il est extractif et linéaire – extraction, transformation, consommation, production de déchets –, il existe autour de nous, dans le vivant et dans le social, des systèmes spiraliformes croissants de production et de renouvellement de ressources, qui sont en mesure de régénérer de la matière, de l'énergie utile ainsi que de l'information, à l'instar de la photosynthèse et de l'évolution biologique ou de la création et transmission du savoir et de l'organisation. 2. De même qu'il se présente, selon la théorie générale des systèmes, des homomorphismes entre les trois écosystèmes : du vivant, de la technosphère (la technologie industrielle et le système productif), et du social, de même ces trois écosystèmes, lorsqu'ils sont placés en synergie par rapport à l'usage de la matière, de l'énergie et de l'information, sont en mesure de régénérer à la fois la planète, l'économie et la société. Dès lors, la responsabilité qu'incombe à l'être humain consiste à organiser la mise en symbiose des écosystèmes, dont deux lui sont propres, afin de permettre cette régénération, au lieu de se vouer à sa propre extinction et à celle d'une grande partie de la biosphère par l'épuisement des ressources, dérivé de l'économie d'extraction et du système productif basé sur le profit et sur l'organisation sociale hiérarchique qu'ils entraînent.
Cette métamorphose est-elle une utopie ? Bien que l'autrice s'efforce de démontrer que chacun des éléments théoriques et pratiques qu'elle évoque a déjà été expérimenté, bien qu'elle multiplie les exemples de réalisations de ces symbioses au niveau industriel, d'aménagement du territoire, d'organisation sociale, qu'elle en démontre la faisabilité technologique et la capacité d'amélioration de l'efficience énergétique et économique, bien qu'elle informe sur les différents et multiples exemples d'émergence des Communs au niveau de l'organisation entrepreneuriale et humaine, ainsi que des réalisations techniques : de BlaBla Car à l'Open source, de l'agroécologie aux matériaux biosourcés, de la modularité à l'interopérabilité avec auto-montage, recyclage et reconditionnement en Fablab, de la gouvernance coopérative aux monnaies complémentaires, surtout grâce à « l'économie de l'information » et à la diffusion supposée illimitée de l'Internet, elle n'ignore pas les aspects qui rendent son projet pour le moins improbable : la nécessité d'une révolution complète et absolue du système économique et productif, voire sans doute de la place de l'humain dans la biosphère ; l'acceptation d'un modèle social (coopératif, collaboratif, etc.) et d'un niveau de vie incompatibles avec le capitalisme et la croissance telle que nous l'envisageons aujourd'hui ; et enfin une dépendance à terme encore accrue vis-à-vis de l'infrastructure du numérique qu'il est extrêmement compliqué de faire sortir du paradigme de l'économie extractive... Le théorème de Gödel appliqué à l'économie symbiotique, pourrait-on affirmer... Mais utopie ne veut pas dire nécessairement chimère irréalisable. Cela peut signifier une tentative d'imaginer un horizon futur du possible : c'est précisément dans ce sens que l'essai, avant la conclusion, se termine par un petit texte purement utopique intitulé : « Je vous écris de ma ville symbiotique » (pp. 294-307) qui pourrait être campé en 2050, en 2030 mais aussi à plus court terme, puisque de telles expérimentations urbaines-rurales, avec toutes ou certaines des conséquences économiques et d'organisation sociale relatives, émergent et prospèrent déjà aux quatre coins de la planète, surtout dans ses parties les plus développées, faut-il préciser...
Table :
Introduction
1. Une économie de l'information :
1.1. À quelques kilomètres de Paris, sur les bords de la Seine
1.2. Un voyage en Thermodynamie
1.3. L'homme catalyseur
1.4. Bâtir les écosystèmes de l'information
1.5. Symbiose
2. Réanimer les ressources de la Terre :
2.1. Une autre agriculture
2.2. Un urbanisme esthétique, productif et multifonctionnel
2.3. Transformer les eaux usées en matériaux
2.4. Mailler la ville, la campagne et les grands écosystèmes naturels
2.5. Le biomimétisme : s'inspirer du vivant pour être plus efficient
2.6. Six principes communs de fonctionnement
2.7. Métamorphose de la pensée industrielle
2.8. Une nouvelle alliance
2.9. La restauration des équilibres planétaires : une danse à trois pas
3. Une économie structurée en écosystèmes : l'énergie et la matière :
3.1. Alimenter nos sociétés en énergie
3.2. Métamorphose de l'industrie
4. Une économie en écosystème : le phénomène humain :
4.1. Il était une fois l'Internet
4.2. Une économie des Communs
4.3. La prise en compte de l'humain dans l'ensemble de ses dimensions
4.4. La croissance par essaimage
4.5. Les architectures de financement et d'échanges monétaires
4.6. Une économie verte mais pas forcément rose
4.7. Les coopératives comme structuration juridique des Communs
4.8. Une transformation radicale de nos sociétés
5. Synergies d'une synchronicité réalisée :
5.1. Unicité des processus, diversité des apparences : un système logique commun
5.2. Les conditions d'une relation symbiotique et d'une régénération globale des ressources
5.3. L'économie symbiotique est-elle durable ?
5.4. Caractérisation micro-économique et macro-économique du système économique symbiotique
5.5. Organiser la transition
6. Je vous écris de ma ville symbiotique :
[7.] Conclusion : penser autrement l'humain :
7.1. Une rupture dans l'évolution
7.2. Une nouvelle ère?
7.3. Puissance de la pensée
7.4. Puissance de la fragilité
Annexe : définitions
Cit. :
1. « Apparues sans concertation, les différentes logiques économiques et productives que nous avons successivement présentées couvrent toutes les activités économiques et forment un système économique complet. Sous leur apparente diversité et la multiplicité des termes – ingénierie écologique, permaculture, biomimétisme, écologie industrielle, économie circulaire, économie de fonctionnalité, smart grids, open source, makerspaces, open data, économie du pair à pair, contributive, sociale et solidaire... –, elles sont d'une extraordinaire cohérence dans leur structure de fonctionnement et peuvent être décrites selon les mêmes principes.
Pour simplifier le propos, j'ai qualifié ces principes – et le système logique dont ils sont le cœur – de "symbiotiques", du nom du phénomène qu'ils décrivent où ils sont assemblés pour la gestion du vivant, des industries, et des rapports sociaux de la production à la consommation, et jusqu'à la gouvernance. […] Il est utilisable pour étudier la cohérence de n'importe quel système technique, productif ou d'échanges économiques, avec la logique de cette nouvelle économie montante. […] L'avantage d'une théorisation est de pouvoir pousser la logique identifiée jusqu'au bout et de proposer une image complète d'une réalité qui, bien que non actualisée encore, est bel et bien présente dans son potentiel. » (p. 227)
2. « La légèreté avec laquelle nous accédons à une myriade de services cache en coulisses une industrie lourde, aux conséquences écologiques et sociales parmi les plus noires. Nos balades numériques engloutissent déjà 10% de l'électricité mondiale et cette consommation croît de 7% par an. Les métaux qui composent nos écrans et nos processeurs sont souvent en quantités limitées sur le globe, disponibles en quelques points seulement, et les méthodes d'extraction sont parmi les pires que nous puissions connaître : déplacement et intimidation de populations, notamment indigènes, pollution des rivières aux métaux lourds pour purifier les minerais, guerres. L'industrie numérique repose sur des coulisses que nous préférons ne pas voir. […] En fin de chaîne, la situation n'est guère plus reluisante. Les déchets de numérique s'entassent. » (pp. 254-255)
3. « Nous allons appliquer les propriétés des systèmes pour extrapoler le développement de l'économie symbiotique à un niveau mondial à partir de ses caractéristiques fondamentales. […]
L'économie symbiotique a une structure fractale. Au niveau le plus petit, les éléments s'organisent en écosystèmes qui s'organisent eux-mêmes en écosystèmes d'écosystèmes structurés toujours selon les mêmes principes d'organisation […]
L'économie circulaire met en coopération les éléments simples que sont les industries selon ces principes et crée des écosystèmes industriels technosphériques ; l'ingénierie écologique ou la permaculture assemblent des espèces vivantes (en y intégrant l'espèce humaine) selon les mêmes principes, et produisent des services écosystèmiques qu'aucune des espèces ne peut produire isolée ; les réseaux numériques produisent des data issues de l'interaction des données, qui vont les influencer en retour ; les individus forment des écosystèmes sociaux, qui vont produire de l'intelligence collective et influencer les individus en leur amenant des nouveaux savoirs, savoir-faire, opinions, etc. » (p. 283)
4. « Pour devenir symbiotiques et dépasser la fragile frontière qui sépare la symbiose du parasitisme, nos sociétés doivent franchir le point de bascule où l'impact positif de la technosphère sur les autres écosystèmes devient supérieur à son impact négatif, et savoir préserver les ressources dont la technosphère dépend scientifiquement. Est-ce possible ? Nous n'en savons rien, seules des mesures pourraient nous en informer. Cela nécessite un changement radical de nos indicateurs. Aujourd'hui adaptés à une vision extractrice de notre économie, ils ne savent pas mesurer le couplage des activités économiques avec la régénération des écosystèmes écologiques, économiques et sociaux. La seule régénération que nous savons parfaitement mesurer est la régénération financière. Néanmoins, la synergie entre toutes les nouvelles logiques économiques et productives qu'ont inventées les pionniers de cette nouvelle économie depuis cinquante ans laisse apparaître que cela est largement envisageable. » (p. 314)
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