Il ne semble guère épais, Edouard Limonov (1943-2020), écrivain russe underground, par sa trace laissée dans les annales malgré une vie vendue en tranches déclinée dans une kyrielle d’autobiographies crues et sulfureuses. Oublié malgré ses prises de position politiquement incorrectes et ses éclats dévergondés, Limonov a refait surface sur un plan éditorial, une dizaine d’années avant sa mort quand est parue sa biographie romancée en 2011 sous la plume d’Emmanuel Carrère. Luttant de toute sa fibre jusqu’au tréfonds de son être contre le déterminisme social, Edouard Limonov n’a de cesse de rechercher la reconnaissance et la gloire littéraire mais rien ne peut durer dans une époque comme la nôtre, historiquement et socialement chamboulée. L’effondrement du bloc soviétique, la chute des régimes communistes en Europe, l’émergence des oligarques en Russie, la guerre des Balkans pourraient déstabiliser quiconque a vécu dans des systèmes imaginés forts et pérennes. Limonov va se battre toute sa vie pour exister. Ses fuites, ses volte-face, ses engagements sont au diapason d’un monde incertain, fuyant, intangible. La vie de Limonov reflète tout un pan de l’histoire contemporaine. En ce sens, elle est passionnante et le talent de conteur d’Emmanuel Carrère est patent à chaque phrase. Le lecteur peut se passionner pour une existence désaxée qu’il parcourt sans jamais se lasser tant l’art de Carrère insuffle la vie dans chaque phrase d’où percole l’intelligence du propos. D’abord pleinement axée sur le personnage, la biographie se décentre sur les processus historiques en marche pour mieux revenir sur Limonov, laissant émerger d’un bain culturel ambiant, des mentalités saillantes, devenant saisissables malgré des partis-pris pour le moins sujets à caution.

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