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[La Pensée féministe noire | Patricia Hill Collins]
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apo



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Posté: Lun 19 Avr 2021 10:20
MessageSujet du message: [La Pensée féministe noire | Patricia Hill Collins]
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La lecture de cet essai m'a paru interminable et exténuante. Parsemée au demeurant d'informations intéressantes – en particulier sur l'histoire des conditions de vie des Noires américaines et des mouvements féministes noirs depuis l'époque de l'esclavage jusqu'au néolibéralisme – et épisodiquement de sources de réflexion stimulantes – notamment le concept de « matrice des oppressions » –, elle a été cependant caractérisée par la répétition infinie de quelques idées avec des longueurs épuisantes, et par le sentiment de toujours « tourner autour du pot » : seule la pratique de « l'attention flottante » a rendu possible cette lecture jusqu'à la fin de l'ouvrage.
Au départ, j'ai cru que le livre était simplement mal écrit, comme un très long brouillon de notes de recherche, sans hiérarchisation des découvertes-clés, sans aucune distinction entre vieilles idées éculées et nouvelles réflexions personnelles, brouillon auquel il aurait manqué cette phase, essentielle pour nous Français, de synthèse et de mise en forme de démonstration scientifique de nos résultats : il arrive dans le monde universitaire anglo-saxon que des travaux soient ainsi publiés prématurément. D'autant plus que le titre du volume, ambitieux, peut avoir la prétention de désigner un exposé exhaustif de l'ensemble d'une pensée qui s'est développée sur plusieurs siècles, de surcroît majoritairement en-dehors de la production d'un savoir universitaire, à travers le militantisme, la littérature voire la musique blues : le nombre remarquable de références dans le texte, la bibliographie et l'usage des citations font penser à une telle démarche.
De même, le texte est très mal traduit : il comporte de nombreux anglicismes qui mènent jusqu'aux contresens – au moins par rapport au français de France où « éventuellement » n'est pas la traduction de « eventually », où l'on a grand soin de distinguer « objectivation » de « chosification » ou « réification », où l'on distingue « sécuritaire » de « sécurisé » et « licite » de « légitime »...
Par contre, la troisième partie de l'ouvrage, par une explicitation des choix épistémologiques de l'auteure, m'a persuadé que tous les défauts du livre venaient de ce que je considère comme des erreurs fondamentales dans sa démarche scientifique : d'abord dans une compréhension fautive de la théorie de l'hégémonie culturelle de Gramsci (qui, justement, parmi cette pléthore de références, est à peine mentionné, et sans doute comme source secondaire) ainsi que de celle (assez complémentaire) de l'épistémè de Foucault (à peine davantage mentionné). Un certain anti-intellectualisme sous prétexte de réaction au savoir hégémonique du pouvoir dominant, l'inclusion de tout ce qui constitue « l'expérience » de la résistance des femmes noires étasunienne, de tout ce qui peut être utile à leur empowerment, une subjectivation de l'objet d'étude par l'observateur (la chercheuse), et enfin le refus de l'ethos de la recherche positiviste – basé in fine sur la falsificabilité popperienne (Karl Popper étant le troisième grand « oublié » des chapitres sur l'épistémologie...) au lieu que sur l'équivalence des points de vue subjectifs, m'ont semblé constituer des tares rédhibitoires qui, en excluant la rigueur de la démonstration, s'avèrent préjudiciables non seulement à la qualité de ce travail imposant, mais surtout nuisibles à la crédibilité d'une branche d'études qui n'est visiblement pas encore paradigmatique, même dans les « studies » des universités américaines, alors qu'elle pourrait désormais l'être. Antonio Gramsci avait compris comment faire bouger les lignes de la culture dominante, Patricia Hill Collins, à l'inverse exact de ses intentions, disqualifie ce qu'elle essaie de promouvoir.
Par son absence de rigueur, et également sans doute par son piètre d'intérêt à l'égard d'une méthodologie comparatiste, j'ai trouvé paradoxalement la thèse la plus intéressante de l'essai dans ce que l'auteure tente de réfuter à plusieurs reprises : le schéma de la « matrice des oppressions » et également les contenus propres des « archétypes normatifs négatifs » (que l'on pourrait appeler simplement les « préjugés stigmatisant », ce qui éviterait de se demander si ces préjugés sont vraiment archétypaux...) s'appliquent parfaitement à l'identique aux femmes discriminés d'Europe et sans doute d'ailleurs aussi. Si l'auteure insiste, non sans raison, sur les spécificités étasuniennes des anciennes conditions de vie des esclaves, puis sur le cadre normatif de la ségrégation et des luttes pour les droits civiques, sur la particularité de l'organisation communautaire afro-américaine avec ses propres Clubs d'émancipation, ses propres églises, la ghettoïsation institutionnalisée des écoles, des quartiers de résidence, des services de santé, voire même de l'assistance sociale, les dégâts dans le tissu social provoqués par les politiques néolibérales et sécuritaires à partir des années 1980, il est très intéressant de constater que c'est le contraire de ce que voudrait montrer l'auteure qui est vrai : par rapport aux femmes racisés d'Europe les discours racistes sont les mêmes (notamment sur les disqualifications de leur maternité, de leur féminité et sur les stigmates sexuels), leurs stratagèmes de résistance aussi, enfin les tentatives de coalition entre les différents mouvements militants et leurs échecs identiques. Il semblerait même que le communautarisme étasunien, dans la mesure où il confère de la force à l'organisation politique de la résistance contre les oppressions/discriminations, se délite progressivement sous les attaques de la fragmentation des classes précarisées, des identités collectives « sur mesure » et des accusations de « séparatisme ».



Table

I. La construction sociale de la pensée féministe noire :
1. La politique de la pensée féministe noire
2. Distinguer les caractéristiques de la pensée féministe noire

II. Les thèmes centraux de la pensée féministe noire :
3. Travail, famille et oppression des femmes noires
4. Nounous, matriarches et autres archétypes normatifs
5. Le pouvoir et l'autodéfinition
6. La politique sexuelle et la féminité noire
7. Les relations amoureuses des femmes noires
8. Les femmes noires et la maternité
9. Repenser le militantisme des femmes noires

III. Féminisme noir, savoir et pouvoir :
10. Le féminisme noir étasunien dans un contexte transnational
11. L'épistémologie féministe noire
12. Vers une politique de l'empowerment


Cit. :


1. « Comme mères, mères supplétives, enseignantes et femmes d'église dans des communautés rurales presque exclusivement noires et dans les ghettos urbains, les Noires étasuniennes ont pris part à la construction et à la recomposition de ces savoirs alternatifs. À travers les expériences vécues dans leur famille élargie et dans leur communauté, les Africaines-Américaines ont façonné chacune leurs propres idées concernant ce que signifie être une femme noire. Quand ces idées ont pu acquérir une expression collective, ces autodéfinitions leur ont permis de reformuler des conceptions, d'influence africaine, d'elles-mêmes et de leur communauté. Ces autodéfinitions de la féminité noire avaient pour objectif de résister aux archétypes normatifs négatifs mis de l'avant par les Blanc.he.s ainsi qu'aux pratiques sociales discriminatoires que ces archétypes normatifs encourageaient. Bref, la participation des femmes noires au façonnement d'une culture afro-américaine en constante évolution a rendu possibles des conceptions du monde spécifiquement noires et centrées sur les femmes. » (p. 48)

2. « Deux moments importants marquent la visibilité du féminisme noir. À la source de la plupart des idées phares d'aujourd'hui, le premier s'est produit au début du 20e siècle à travers le mouvement des Clubs de femmes noires. Le deuxième, ou le féminisme noir moderne, a été stimulé par les mouvements de justice sociale antiracistes et les mouvements des femmes des années 1960 et 1970 et se poursuit aujourd'hui. » (p. 77)

3. « Deux éléments de l'idéal familial traditionnel posent particulièrement problème pour les Africaines-Américaines. En premier lieu, la distinction présumée entre la sphère "publique" du travail rémunéré et la sphère "privée" des responsabilités familiales non rémunérées n'a jamais correspondu à la réalité des Noires étasuniennes. […] En second lieu, la séparation privé/public distinguant entre la maisonnée et le marché du travail rémunéré est fondamentale pour comprendre l'idéologie de genre aux États-Unis. Si l'on tient pour acquis que les vrais hommes travaillent et que les vraies femmes prennent soin de la famille, les Afro-Américain.e.s ne correspondent pas aux stéréotypes de genre. Plus particulièrement, les femmes noires sont considérées comme moins "féminines" parce qu'elles travaillent à l'extérieur de la maison, reçoivent un salaire et entrent ainsi en compétition avec les hommes, et que leur travail les éloigne de leurs enfants. » (pp. 102-103)

4. « La racisation consiste à conférer une signification raciale à des rapports, à des pratiques sociales ou à des groupes qui n'étaient pas racisés auparavant. Avant les années 1960, les communautés noires comptaient plus de familles matriparentales que dans les milieux blancs, mais l'idéologie de la matriparentalité comme cause importante de la pauvreté n'avait pas encore fait surface. De façon intéressante, l'insertion de la thèse du matriarcat noir dans les débats entourant la pauvreté des Noir.e.s s'est produite dans un contexte d'intense militantisme noir. En outre, l'image publique des femmes noires étasuniennes comme matriarches peu féminines est apparue au moment même où le mouvement des femmes mettait de l'avant sa critique du patriarcat étasunien. » (p. 142)

5. « Une nouvelle rhétorique postraciale, qui reproduit les inégalités sociales en traitant tout le monde de la même manière, rend plus malaisé de maintenir des espaces sécuritaires [sécurisés]. Tout groupe qui s'organise à partir de ses propres intérêts encourt le risque d'être qualifié de "séparatiste", "essentialiste" ou antidémocratique. L'offensive continue contre les prétendues politiques identitaires vise à faire taire les groupes traditionnellement opprimés qui s'attachent à façonner des projets politiques indépendants autour des identités de race, de sexe, de classe et/ou de sexualité.
Dans ce contexte, les Africaines-Américaines se font de plus en plus demander pourquoi nous voulons nous "séparer" des hommes noirs et pourquoi le féminisme ne pourrait pas parler au nom de toutes les femmes, nous y compris. En fait, de tels questionnements mettent en cause la nécessité des communautés de femmes noires en tant que composantes politiques. » (pp. 192-193)

6. « Malgré la persistance de ces quatre idées concernant la conscience – l'importance de l'autodéfinition, celle de l'estime de soi et du respect, la nécessité de l'autonomie et de l'indépendance et le caractère central d'un soi transformé dans l'empowerment individuel –, ces thématiques n'occupent pas une place importante dans la majeure partie de la pensée féministe noire universitaire. Malheureusement, les intellectuelles noires universitaires se sentent tenues d'écrire pour un lectorat universitaire, lequel, en général, rechigne encore à inclure les femmes noires comme étudiantes, professeures et administratrices. Peu importe l'intérêt que peut manifester un public universitaire composé d'hommes et de femmes blanches, éduqués et de la classe moyenne, pour les productions intellectuelles des femmes noires, leurs préoccupations diffèrent grandement de celles de la majorité des femmes noires étasuniennes. » [Problème de distinction?] (p. 205)

7. « Ce passage d'une situation où l'appartenance collective était revendiquée et utilisée comme outil politique de justice sociale à une vision selon laquelle l'appartenance collective devient un stigmate permanent qui nuit à la justice n'est pas évident pour les postulant.e.s. Ils semblent incapables de contrer la logique raciste profondément ancrée en vertu de laquelle l'inclusion des Noir.e.s sape le système et que leur exclusion signifie qu'il est encore juste.
Les défis qui se présentent aux femmes noires étasuniennes de toutes les classes sociales consistent à revitaliser les institutions de la société civile noire de telle sorte qu'elles puissent contrer ce genre de situation. » (pp. 345-346)

8. « Renverser le processus par lequel les oppressions enchevêtrées canalisent à leurs propres fins diverses dimensions de la subjectivité personnelle devient un objectif central de la résistance. Aussi, le domaine hégémonique du pouvoir devient un espace important non seulement pour réfuter les idées hégémoniques de la culture dominante mais également pour façonner un savoir contre-hégémonique qui nourrit une conscience transformée. Peu importe la localisation sociale de ce processus – les familles, les communautés, les écoles, les institutions religieuses ou les médias de masse –, le pouvoir de revendiquer ces espaces "pour penser et faire ce qu'on n'attend pas de nous" constitue une dimension importante de l'empowerment des femmes noires. » (p. 430)

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Auteur    Message
Swann




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Posté: Mar 20 Avr 2021 10:32
MessageSujet du message:
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Bravo pour ta critique très argumentée (et très calée !) des défauts de démarche scientifique...
Peut-être n'est-ce pas l’œuvre d'universitaire au fait de la méthodologie ?
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Auteur    Message
apo



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Posté: Mer 21 Avr 2021 9:21
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« Swann » a écrit:

Peut-être n'est-ce pas l’œuvre d'universitaire au fait de la méthodologie ?

Smack, amie Swann Very Happy
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Auteur    Message
Swann




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Posté: Mer 21 Avr 2021 11:44
MessageSujet du message:
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« apo » a écrit:
« Swann » a écrit:

Peut-être n'est-ce pas l’œuvre d'universitaire au fait de la méthodologie ?

Smack, amie Swann Very Happy

J'ai dû dire une grosse bêtise.
Désolée.
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Auteur    Message
apo



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Posté: Mer 21 Avr 2021 19:05
MessageSujet du message:
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Pas du tout, c'était une bise au premier degré ! (Parce que je pensais que tu t'adressais à moi). L'auteure, si, est une universitaire... qui se réclame de sa propre "épistémologie féministe noire".
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