[Bartleby le scribe : une histoire de Wall Street | Herman Melville]
Tragi-comédie en impact.
De Socrate buvant la ciguë aux gilets jaunes avalant des couleuvres, en passant par Thoreau qui ne manquait pas d’air ni d’allure, la liste des insoumis volontaires, célèbres ou anonymes, est longue comme un jour sans pain. Quand Henry David Thoreau publie en 1849 son essai intitulé « La Désobéissance civile », Herman Melville ne peut que s’accaparer l’idée maîtresse du philosophe naturaliste américain et l’injecter admirablement dans sa nouvelle Bartleby qui paraît en 1853. Les multiples traductions, les commentaires sans fin montrent la fascination face à une œuvre atemporelle, énigmatique et résistante. Bartleby, sans passé ni avenir, gratte mécaniquement de la copie, autiste insondable, poli et inflexible. Tel un maître d’aïkido utilisant l’énergie de l’adversaire pour annihiler son attaque, Bartleby répond à son employeur qu’il n’aimerait autant pas travailler davantage et sa force d’inertie sans autre explication que sa formule laconique répétée à l’envi provoque un effet déflagrant. Parfaitement ancrée dans l’épicentre du capitalisme planétaire à Wall Street au XIXe siècle, la nouvelle est une critique de la marchandisation du monde où les vies s’engluent en pure perte. Bartleby est le prototype de l’homme moderne perdu en mer, ni vivant ni mort : « cadavériquement soigné, pathétiquement respectable, incurablement abandonné ».
La nouvelle traduction et l’édition de qualité parue chez Libertalia en 2020 sont impeccables. La préface et les notes dues aux traducteurs sont concises, avisées, éclairantes. Il est difficile de ne pas rire jaune à la lecture de Bartleby, avec ou sans gilet de sauvetage.
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