Je cherche depuis longtemps des éléments de réponse à la question éponyme... Je sais à présent pourquoi je continue de chercher : les études en neurosciences, en psychologie expérimentale voire en socio-biologie évolutive sont encore (en 2007) très embryonnaires sur la musique, les implications neurologiques de ce phénomène à la fois universel et exclusivement humain semblent beaucoup plus complexes que celles qui concernent, notamment, le langage, et les théories dans chaque discipline sont encore très peu paradigmatiques (même lorsqu'elles sont contradictoires), alors qu'assez peu de résultats des expériences empiriques s'avèrent véritablement surprenants.
Depuis les découvertes de Pythagore sur les rapports entre les longueurs des cordes, les intervalles entre fréquences, les gammes (il en existe environ mille au monde, mais toutes connaissent l'octave) et les consonances et dissonances entre certaines combinaisons de sons, nous ne sommes pas encore fixés sur la question de savoir si nos goûts musicaux sont déterminés davantage par la culture et l'habitude (cf. Arnold Schoenberg qui, non sans radicalité, soutenait que l'histoire de la musique tout entière n'est qu'une question d'adaptation aux dissonances...), ou par la biologie. Le cerveau des enfants ne réagit pas à la musique de la même manière que celui des adultes, pas plus que celui des musiciens de façon semblable à celui des profanes. Le rythme, la mélodie, la tonalité et les autres composantes de la musiques semblent mobiliser une variété d'aires cérébrales et générer une prodigieuse complexité d'associations que ne sauraient expliquer la simple analyse neurochimique ni hormonale. Si les scientifiques se sont posé précocement la question de l'analogie entre musique et langage, très peu de théorie probante n'en résulte, même pas par rapport à la question de l'antériorité ou la postériorité relative ou d'une éventuelle évolution commune à partir d'un protolangage.
De même, aussi bien les recherches phylogénétiques qu'ontogénétiques ont été incapables de donner d'hypothèse prévalente sur un éventuel avantage génétique évident provoqué par la développent de la musicalité, pas plus dans la sphère de la reproduction ou de l'élevage des enfants que de la communication ou de la création de liens sociaux. Les « musiques » animales, étudiées du point de vue analogique ainsi qu'homologique, ne semblent pas être pourvoyeuses de plaisir, contrairement à la musique humaine dont c'est peut-être la principale caractéristique. Le fameux Steven Pinker est même le seul à défendre la position extrémiste de l'inutilité évolutive absolue de la musicalité : telle « la bavaroise aux fraises », la musique serait à son avis « une merveilleuse gâterie délicatement élaborée pour chatouiller les points sensibles d'au moins cinq ou six de nos facultés mentales » (cit. p. 162-163).
Les recherches qui se fondent sur la musique comme « véhicule des émotions » se heurtent aux difficultés de définition et de mesure des sentiments et des états d'âme : les contenus émotionnels des musiques se retrouvent dans toutes les cultures et toutes les formes musicales, mais même les études sur les dysfonctionnements, les talents prodigieux chez certains autistes ou les amusies chez environ 5% des personnes par ailleurs totalement saines mentalement ne se prêtent qu'à révéler l'absolue variabilité individuelle plutôt qu'à déduire des généralités sur ce plan.
Cet ouvrage a donc le mérite de passer en revue une grande série d'hypothèses récentes et de pistes de recherches en cours, qui ne s'excluent pas nécessairement les unes les autres, toujours présentées dans un style habile et même élégant de vulgarisation qui ne lasse jamais le lecteur ni ne le contraint à un effort excessif. La répartition des chapitre est logique, les anecdotes sont savoureuses. L'incipit sur le canular scientifique de l'orgasme provoqué par l'écoute des Beatles et l'excipit de la citation d'Elvis Presley disant : « Je ne connais rien à la musique. Mais dans ma branche, je peux m'en passer. » donnent sans doute le ton de l'essai...
Cit. :
1. « Alors que les adultes peinent à reconnaître une fausse note dans le dessin d'une mélodie étrangère à leur culture (un occidental aura par exemple des difficultés à percevoir l'altération d'une chanson indienne ou chinoise), les enfants du monde entier ont la même sensibilité à l'égard de tous les types de musique. Ils font donc preuve dans ce domaine d'une aptitude supplémentaire par rapport aux adultes, d'un universalisme musical qui permet aux petits de se trouver à leur aise quel que soit le milieu musical dans lequel ils grandissent.
[…]
On peut dire la même chose du rythme. En effet, contrairement à la légende, personne ne naît avec le rythme dans le sang, et les différences rythmiques évidentes entre la musique pop d'origine anglo-saxonne, caractérisée par des schémas simples et répétitifs et, par exemple, les danses balkaniques, construites sur des rythmes complexes, n'ont rien à voir avec la génétique. » (pp. 115-116)
2. « La musique pourrait contribuer au bien-être global des enfants et à leur croissance, en rendant plus faciles l'allaitement, le sommeil et l'apprentissage. De plus, du bien-être d'un enfant qui pleure moins et dort mieux dépend évidemment le bien-être de la maman. […] Autre avantage : comme les enfants ne comprennent pas les paroles, mais apprécient seulement la musique, les textes des berceuses peuvent donner lieu à de véritables épanchements ou confidences de la part des mamans. Sandra Trehub raconte avoir entendu dire plusieurs fois, au cours de ses voyages autour du monde […], que les chansons des mamans s'enrichissent souvent de textes inventés pour se plaindre des maris, des belles-mères ou des voisins, comme c'est le cas de certaines berceuses traditionnelles italiennes : en Toscane, par exemple, il existe de nombreuses variantes de la Berceuse de la mécontente, mais dans toutes "papa s'amuse et maman peine". » (p. 129)
3. « Cette technique – utiliser une musique désagréable pour éloigner les hôtes indésirables – a été employée avec succès dans le métro de Londres. Dans ce cas, il s'agissait de réduire les épisodes de vandalisme en essayant d'éviter que les stations ne deviennent un lieu de rendez-vous pour adolescents désœuvrés et provocateurs […]. Et c'est notre bon Mozart qui est reparti à la charge. Pour un voyou anglais, la musique classique est tout sauf cool, et il n'est pas socialement convenable de se montrer dans un endroit où on l'écoute. L'avantage de ce système est qu'il ne dérange pas les autres voyageurs, bien au contraire : il se crée ainsi une atmosphère plus détendue pour tous. » (p. 154)
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