Pour Catherine Clément la nuit n'est pas pourvoyeuse de sommeil : philosophe, elle se place sous les auspices de la chouette de Minerve, elle attend que les autres s'arrêtent pour penser et écrire. La nuit, elle la personnifie, lui met une initiale majuscule et la vouvoie avec déférence. Elle la dénude et la revêt de mille habits imprévisibles. Ces costumes, ce sont des histoires, surtout de mythes – grecs, bibliques, brahmaniques – des intrigues de libretti d'opéra, de quelques films, des contes et récits historiques... Des histoires qui sont des fragments flottant avec légèreté tout en étant visiblement issus d'années d'étude patiente et laborieuse. Privilège de l'âge de l'auteure que de pouvoir délecter son public de détails anecdotiques, de mêler les Méditations métaphysiques de Descartes, les Mythologiques de Claude Lévi-Strauss au Temple du Soleil d'Hergé, le Fidelio de Beethoven aux geôles des membres de la Bande à Baader, dans des chapitres brefs et pourtant ni attendus ni dépourvus d'une coda pouvant mettre en rapport la contemporanéité avec l'intemporel des images archétypales.
Cit. :
« Blanche est la nuit d'hôpital, au silence rythmé par les bips des machines qui aspirent, contrôlent, injectent, perfusent, bricolent un corps qui n'en peut mais, un corps qu'on veut guérir. Blanche est la nuit des villes, ou jaune, ou bien orange, émettant dans le ciel une couleur étrange, pourpre sur fond violet, signalétique des regroupements d'hommes dans le même lieu. Privés d'obscurité, les animaux s'égarent ; des espèces nocturnes disparaissent. Marchez la nuit dans une ville, essayez d'y entendre le bruit de vos pas sur le goudron des rues, comme c'est difficile ! Là-haut pleure un bébé ; là-bas tousse un vieillard. Ici on s'engueule, là on se bécote. Les ampoules électriques s'éteignent, se rallument, les voitures de police et les ambulances pin-ponnent en clignotant de feux bleus, rouges ou orange... » (p. 129)
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