Le saisissement du mot et l’image du monde.
Par les bienfaits d’une édition rétrospective, en revenant à l’origine des carnets d’André Blanchard, de 1978 à 1986 et en se remémorant les bribes d’une époque révolue, les années 1980, on peut avoir la sensation de se baigner une seconde fois dans le flux du temps et de savourer en prime la verve d’un écrivain déjà affirmé. Sa ligne de conduite est tracée. Il n’en démordra pas. Les carnets s’empileront sur le même modèle, avec des envolées similaires et des aigreurs récurrentes. Nul mal de vivre existentiel pourtant chez cet auteur « inquiet endurci » sans « plan de vie en tête » mais une inaptitude à s’engager dans le corps social, l’esprit n’y étant pas. Pour André Blanchard, la littérature n’est pas un passe-temps mais une activité pleine et entière, une passion qui peut « rendre insouciant du sort de la planète ». Son impécuniosité chronique le contraint à chiner les bouquins, lisant à mesure de ses acquisitions aléatoires dans le droit fil de ses intérêts littéraires, le Journal de Léautaud, celui de Jules Renard, les Notes d’un Vaudois de Ramuz, les Carnets de Calaferte, les Mémoires intérieurs de François Mauriac mais encore Green, Flaubert, Stendhal, Montherlant (Les Célibataires son chef-d’œuvre), etc. Déjà les faiseurs se prennent quelques volées de bois vert à l’exemple de Michel Tournier qui écrit avec « les gros sabots d’un besogneux, d’un sans-grâce », de Sartre avec « ces leçons données par bourgeois et grand bourgeois au peuple, pour son bien ». Le Clézio en réchappe de justesse mais il ne perd rien pour attendre. Oscillant entre carnet et journal, les écrits d’André Blanchard font la part belle à la littérature mais l’actualité de l’époque s’immisce, des menus faits du quotidien s’égrènent, des observations paysagères traversent et vivifient l’ensemble pourtant tonique par le ton alerte, personnel et sans fard de l’auteur. On y voit entrer en scène le chat Grelin. On le verra en sortir bien des années plus tard. Le lecteur peut s’y trouver en terrain connu et ressentir bien des complicités avec un homme humble et sincère, entier et constant, lucide et sensuel. Les carnets font vivre André Blanchard au-delà des contingences et donnent voix au chapitre à toute une frange de la population laissée pour compte, en marge de la bien-pensance et des médias.
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