[Passagère du silence : dix ans d’initiation en Chine | Fabienne Verdier]
La ligne de vie.
Les « Propos sur la peinture » de Shitao (1641-1720), peintre chinois surnommé le moine Citrouille-Amère vont constituer pendant longtemps l’unique livre en français de Fabienne Verdier exilée en Chine durant les années 1980 (1983-1989) dans des conditions éprouvantes. Le viatique de Shitao sera ensuite complété par les livres de Leopardi, Whitman, Blake, Bachelard, « une pile d’ouvrages inestimables dans le lieu perdu » où vit la jeune étudiante française, à l’Institut des beaux-arts situé dans la banlieue de Chongqing, ville chinoise de plusieurs millions d’habitants. Son cheminement s’apparente à un chemin de croix avec un jalonnement d’épreuves redoutables, de son viol à Karachi relaté avec une distance qui rend l’acte immonde encore plus hallucinant jusqu’à la maladie du foie qui la laisse à deux doigts de la mort en passant par les obstacles liés à la langue et à la culture chinoises, la méfiance politique et les mesquineries administratives, les effets dévastateurs de la Révolution culturelle initiée par Mao Zedong dès 1966 et la solitude, le doute, la recherche d’une voie personnelle et originale sur les sentiers escarpés de la création. Fabienne Verdier résiste et s’intègre, travaille et progresse. Elle trouve les maîtres anciens qui acceptent, malgré leur relégation et les dangers encourus, de l’initier à l’art des lettrés, la gravure de sceaux, la calligraphie et la peinture. Les embellies sont époustouflantes. L’amour ouvre aussi des chemins intérieurs. Toutes les rencontres narrées sont bouleversantes à l’exemple du graveur Cheng Jun, amputé d’une main par un fanatique maoïste parce qu’il était un artiste traditionnel de valeur. Vivant misérablement, Cheng Jun n’en met pas moins pour autant ses connaissances et son savoir-faire à la portée de Mademoiselle « Fa ». Le maître calligraphe disgracié par le régime, Huang Yuan, accepte d’enseigner son art à la jeune Française mais la méthode est rude, la pédagogie déroutante : « Tant que tu n’auras pas réussi à donner vie au trait horizontal, nous ne passerons pas aux autres traits, à l’écriture des caractères ». Pourtant, l’effort paye et les remarques du maître sont d’une profondeur parfois stupéfiante : « La mémoire, cette trace furtive, éphémère, nous enseigne doucement mais sûrement la saveur de l’immortalité ». Des voyages réels au cheminement intérieur, le livre sincère et confondant de justesse dénude les esprits pour mieux les approcher et permet de s’ouvrir à d’autres conceptions du monde.
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