Attiré par un récit de voyage récent à Bakou, malgré une couverture fort repoussante composé uniquement d'une photo de face d'un auteur passablement négligé au regard las et féroce, la lecture de la quatrième m'a convoqué le souvenir de Un Devin m'a dit, de Tiziano Terzani. Association a contrario. Car alors que Terzani, ayant entendu la prophétie qu'il mourrait dans les airs cette année-là, s'embarque dans un long périple de Bangkok à Florence par tout autre moyen de transport que l'avion et l'hélicoptère, et nous livre au final un splendide journal de route de l'Asie du Sud-est et de ses superstitions, Olivier Rolin s'est lui-même créé, dans un roman précédent, une notice biographique qui indique son décès dans un hôtel de Bakou en 2009, et il décide d'aller au-devant de cette fatalité, en dépit des injonctions de ses amis. Âgé de soixante-deux ans, chargé d'une cargaison de livres ayant trait à la mort, dans un état d'esprit d'anticipation de son trépas et de désir de vérification du pouvoir qu'aurait la littérature de générer des prophéties autoréalisatrices, comme le soutient Pierre Bayard (et quelques autres), l'auteur se rend en Azerbaïdjan, et je l'y suis en me demandant si la morbidité du propos déteindra vers des pulsions suicidaires.
Le premier chapitre le laisserait présager, qui décrit à la troisième personne un homme vieillissant sortant d'un petit hôtel de la rue Mirza Mansûr, dans la Ville intérieure à une heure crépusculaire. Ensuite le détachement de la troisième personne sera abandonné, et en fin de compte la morbidité s'estompera – sauf au total une dizaine de scénarios de disparition violente – en monologue aux brides déliées contenant surtout des références aux propres ouvrages de l'auteur et à de multiples lectures inspirées, de loin ou de près, des lieux visités. Il reste un air vague de bilan de sa vie, de belles photos en noir et blanc, illustrant un voyage qui se pousse aussi sur la rive opposée de la Caspienne, du côté du Turkménistan très peu fréquenté et jusqu'à l'ancienne Merv, dans la steppe.
Les ingrédients du récit de voyage sont là, les références littéraires et historiques intéressantes (même si pour la plupart elles ne m'étaient pas inconnues, j'ai retiré une ou deux références et envies de future lecture, donc, de mon côté, le contrat lectoral est rempli), à l'exception peut-être d'une certaine exiguïté des contacts humains – hormis la mignonne Sabina de l'Institut français, qui n'a pas beaucoup d'épaisseur – pour cause d'une connaissance insuffisante des langues locales, même du russe qui fait l'objet d'amers regrets de Rolin. Mais surtout, me semble-t-il, de la nature introspective et – ne craignons pas le mot – dépressive inscrite dans la démarche de ce voyage.
À noter aussi, stylistiquement, l'usage du futur pour une description assurément synchronique du paysage de la ville, dans l'antépénultième chapitre, à partir du paragraphe :
« Je contemplerai une dernière fois Bakou depuis ma terrasse... » (p. 164).
Cit. :
« […] Un écrivain ne peut vivre que dans l'oubli de ce qu'il a écrit et l'ignorance de ce qu'il n'aura ni le temps, ni la force peut-être d'écrire. » (p. 146)
« Curieusement, penserai-je, Bakou, où j'ai été tellement un étranger, où j'ai passé un mois à ne pas faire grand-chose (mais peut-être est-ce justement cette inoccupation qui m'a permis d'être attentif?), est à présent une des villes du monde que je connais le mieux. » (p. 165)
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