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[Voyages dans la modernité | Hayrullah Efendi - Anonyme]
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apo



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Posté: Dim 20 Jan 2019 18:43
MessageSujet du message: [Voyages dans la modernité | Hayrullah Efendi - Anonyme]
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Ce volume se compose de deux textes très différents qui n'ont que l'apparence homogène de simples récits de voyages en Europe de gentilshommes ottomans de la moitié du XIXe siècle. Le premier, qui a pour objet principal Paris et quelques excursions faites de là, fut rédigé au début de la décennie 1860 par Hayrullah Efendi, un homme issu d'une dynastie de serviteurs du Sérail et auteur d'une monumentale Histoire des Ottomans en quinze volumes. Parlant couramment le français et disposant d'un budget considérable, il était venu rejoindre ses deux fils qui étudiaient en France, accompagnés de domestiques et précepteurs, et il se proposa à cette occasion de rédiger un guide de voyage à l'usage de ses compatriotes, tel qu'il en existait déjà en français mais non en turc. Le second texte, fut rédigé par un journaliste resté anonyme, envoyé à Londres avec peu de pécule et aucune connaissance de l'anglais, pour couvrir l'exposition universelle de 1851, celle pour laquelle fut bâti le célèbre Crystal Palace. En réalité, outre l'article qui relate l'événement, il continua à rédiger des piges, publiées dans le Ceride-i Havadis, sur des anecdotes et ses impressions de Londres.
À part la diversité des auteurs et des circonstances de la rédaction des deux textes, il est opportun de se pencher sur les intentions implicites des documents. Le premier est un pur produit de l'esprit des Tanzimat, ces réformes administratives, militaires, politiques que l'état ottoman, sous l'impulsion de plusieurs sultans, essaie de mettre en œuvre pour conjurer ce qui leur paraît comme un déclin dû au retard sur l'Occident par rapport à la modernité, surtout technique. Considérons le simple fait que Hayrullah Efendi ait envoyé ses fils étudier en France, qu'il vise à promouvoir la facilitation du voyage et du séjour en Europe pour un nombre qu'il souhaiterait le plus important possible de ses concitoyens. Il reflète en cela très exactement les ambitions de son souverain qui le finance et pour lequel ses éloges sont certainement plus sincères qu'uniquement de circonstance. En fait, on peut dire qu'il s'auto-investit d'une mission de rapporteur de tout ce qu'il y a de formidable, d'impressionnant, d'emblématique dans la modernité de cette France du Second Empire et s'offusque que cette mission ne lui soit pas reconnue davantage. Aussi, à part de s'attarder sur les détails pratiques de l'hébergement, de l'alimentation, des lieux de loisirs et de visite qui méritent d'être découverts par les futurs touristes ottomans, à part aussi, conformément aux canons stylistiques déjà entrés dans la littérature de voyage ottomane (turque et arabe), de s'étendre sur ces singulières et piquantes remarques sur les mœurs, en particulier sur les femmes, ainsi que sur les images symboliques – la machine à vapeur, les becs à gaz pour l'illumination publique, les rues et trottoirs –, il ne perd aucune occasion pour aller explorer par exemple le système de l'instruction, ou l'organisation de l'armée, ou les hôpitaux, ou les transports en commun, ne se privant pas de réfléchir à la manière de les importer directement dans son pays. Au-delà de ces objets physiques ou intellectuels de son attention, transparaissent ouvertement de ses pages la frustration pour « l'arriération » des mentalités dans son pays, les interrogations sur la nature de ce progrès des Francs (est-il seulement technique ? Dans quelle mesure est-il aussi politique?), mais aussi l'esprit des Lumières : la croyance indiscutable dans les bénéfices du progrès, sa définition des buts de l'action humaine et sociale, l'importance de l'instruction et de la lutte contre l'obscurantisme, et même, très timidement quand même, contre « l'absolutisme », qui naturellement ne saurait être que le reliquat des souverains du passé...
Dans les articles du journaliste anonyme sur Londres, par contre, toutes ces arrières-pensées idéologiques sont assez absentes ou invisibles. Déjà, la compréhension de l'environnement est nettement amoindrie par la barrière linguistique ; ensuite, le texte est plus fragmentaire, scandé par les articles singulièrement envoyés en rédaction ; par conséquent, l'auteur y recherche surtout l'anecdotique, voire l'extravagant, ce qui peut combler la stupéfaction éphémère du lecteur de la gazette, comme « l'association des laids », ou « le mesmérisme », ou la manière des Anglais de se battre et de se réconcilier aussitôt. Par contre, l'on n'assiste pas à cette admiration inconditionnelle qu'a Hayrullah Efendi à l'égard de tout ce qui est européen, et dans les articles nous lisons aussi des descriptions des miséreux, des aliénés, et des enfants de rue ou de ceux qui risquent leur vie entre les engrenages des usines, dignes de Dickens.
Sincèrement, à la lecture de la seconde partie du livre, j'ai eu la certitude que ma satisfaction aurait été plus grande si elle n'avait pas été incluse dans cet ouvrage, surtout compte tenu de son titre.
Mes cit., peut-être pour cette raison, ne se réfèrent donc qu'au premier écrit.


Cit. :

« Tous les Francs, et surtout les Français, par leur caractère, leur nature et leur éducation, ont le dessein d'atteindre la racine et la vérité de toutes choses. Les connaissances et l'instruction des hommes et des femmes sont extrêmement avancées. On sait que, dans tous les autres pays, un homme accompli est jugé sur son intelligence et son savoir, tandis qu'on attend d'une femme la beauté et les douces paroles. À Paris, au lieu de sa beauté et de son charme, on remarque l'intelligence et le savoir d'une femme et on s'y intéresse. » (p. 64)

« On peut imaginer Paris comme un être dédaigneux et charmeur, tandis que Londres apparaît comme un philosophe omniscient. » (pp. 144-145)

« […] depuis un certain temps, grâce aux échanges entre les nations, des idées salvatrices sont apparues, ouvrant ainsi les portes de l'union et de la civilisation qui permettent de laisser libre cours à la prospérité et à la liberté. Il ne faut pas te laisser aller d'emblée au désespoir en pensant aux difficultés qu'il y a à transmettre ton héritage à la postérité et en compromettant tes bonnes intentions ; car ton accablement sera sûrement consolé grâce au progrès et aux réussites, autrement dit, en mettant un terme aux idées arriérées et absolutistes. » (p. 149)

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