Les yeux voilés.
Dans son ultime carnet aux accents testamentaires paru en 2017, le poète Jean-Luc Sarré, hélas décédé le 3 février 2018 à Marseille, observe et consigne la vie comme elle passe, en biais, organise ses pensées malgré le délitement des jours. Le cancer le ronge et il reste discret sur sa fin proche. Sans pathos ni récrimination, il évoque parcimonieusement son chemin de croix sans s’appesantir. Travaillant ses notes avec un élan de franchise permanent et une recherche de vérité sans concession, il fustige sporadiquement le corps médical parfois sans égard et sans compassion envers ses patients, éternelle majorité silencieuse, soumise, suspendue aux savoirs de la science sensés la sauver (sifflante ineptie). Abcès à inciser afin que la sanie s’écoulant délivre de la douleur, les « Apostumes » de l’auteur fusionnent les apostilles (des notes marginales) à une édition posthume, disant la difficulté à vivre dans l’effondrement de la vieillesse. Si un voile de mélancolie (même si ce mot a pu paraître suspect au poète) nimbe les propos de Jean-Luc Sarré, le cafard n’a pas de prise durable là où l’intelligence pétille, où le silence résonne (« Il peut être attrayant de voir le temps goutter en silence, on en oublierait presque qu’il s’écoule »), où le lâcher-prise règne. Nulle affèterie de style, aucun pédantisme n’affectent le recueil d’un poète qui a su voir et dire en comptant sur ses pieds : « Pas le moindre poème depuis des années mais ce n’est pas étonnant, voilà des lustres que je ne marche plus. Souvent les premiers mots naissaient sous mes pas ». Le souffle s’amoindrit, l’élan s’estompe, la cécité gagne. Jean-Luc Sarré conclut : « Ce cancer, et surtout, peut-être, les traitements qui lui sont inhérents, auront confisqué mon regard ». En attendant, son œuvre demeure : discrète, amicale, essentielle.
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