Les treize nouvelles, un court texte théâtral et une « satire pour marionnettes en trois tableaux » de Sadegh Hedâyat, le grand auteur iranien (1903-1951) du célèbre roman La Chouette aveugle, étonnent d'abord pour leur variété. Tirés de différents recueils, même s'ils remontent pour la plupart aux années 30, certains récits ont pour cadre l'Iran, intemporel ou bien apparemment contemporain à leur écriture, d'autres se déroulent ailleurs (France, Allemagne, Russie), deux enfin ont pour cadre un passé reculé : l'invasion mongole et la conquête arabe. La noirceur, voire l'horreur ou un quotidien angoissant ou désespérant caractérisent le plus grand nombre des nouvelles, dont en particulier la première, « La griffe », qui fait penser à Edgar Poe, mais un humour noir délicieux se dégage de « Le patriote » ainsi que dans la mini-pièce « Les croque-morts ». Les thèmes sont divers, et j'émets l'hypothèse que la dernière nouvelle, « L'impasse », concerne surtout, de façon à peine voilée, l'homosexualité masculine et un sentiment de culpabilité qui occulte son objet. Toutefois, l'on retrouve de nombreux textes qui touchent peu ou prou aux sujets religieux : « L'Homme qui tua son désir », longue nouvelle éponyme, avec ses nombreuses citations, est pratiquement un exposé sur le soufisme que le héros abandonne enfin, « L'adorateur du feu » met en scène l'iranologue Flandin dans un instant (très orientaliste) d'identification avec des Zoroastriens rencontrés près de Persépolis, dans « Le dernier sourire », il est question de l'islamisation de façade et de la conservation dissimulée d'une certaine foi bouddhiste chez le protagoniste Rouzbehân au Khorassan, enfin et surtout, la satire pour marionnettes qui est intitulée « La légende de la création » et est encore inédite en Iran à l'heure de la publication de ce livre, est un texte que beaucoup pourraient trouver carrément blasphématoire, avec son personnage « Léternel », « vieillard décrépit » bavant le riz au lait dont il se nourrit, qui ne sait pas pourquoi il s'attelle à la création... : tout le récit biblico-musulman, avec ses « houris et belles péris en tenue légère », ainsi que Gabriel Pacha, Mollah Azraël et Milord Satan, est intégralement tourné en dérision. Même à le lire aujourd'hui, Salman Rushdie, en comparaison, ressemble à un enfant de chœur...
Dans la forme de la nouvelle, stylistiquement parlant, on peut trouver des auteurs plus novateurs, par ex. Sait Faik Abasiyanik en Turquie, qui fut pratiquement son contemporain (lui aussi décédé prématurément), cependant je ne suis pas prêt d'oublier la force de déflagration émotionnelle de certains des textes de Hedâyat et je comprends donc très bien que les nouvellistes persans contemporains s'en inspirent et s'y réfèrent.
Cit. :
« Père Adam - Donne tes lèvres. Je vais t'expliquer le sens de la Création.
(Le Père Adam se penche sur Maman Eve et l'embrasse à pleine bouche. Maman Eve étend le bras pour rabattre une branche sur eux, et le feuillage les dissimule. Le rideau tombe. Le tumulte des animaux qui hurlent et glapissent s'apaise progressivement.) »
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