[Noire n'est pas mon métier | Nadège Beausson-Diagne, et al.]
Voici un recueil de 16 témoignages d'actrices noires et métisses – comédiennes, réalisatrices, humoristes, actrices de théâtre, de cinéma, de télévision – qui dénoncent, à partir de leur expérience personnelle et professionnelle, les discriminations et maltraitances racistes et sexistes qu'elles ont subies, tout en soulignant les problèmes structurels de l'industrie de l'audio-visuel en France relatifs au dépassement de la sous-représentation des Noirs et surtout des stéréotypes qui leur sont assignés dans les œuvres de fiction. Si le dénominateur commun qui les rassemble est déjà ainsi résumé – et d'ailleurs il l'est encore mieux par le simple titre de l'ouvrage, son intérêt réside surtout dans la diversité des textes. Les personnalités diffèrent autant que leur vécu, bien entendu, les auto-représentations aussi, et par conséquent, sans doute non sans relation avec l'âge et l'expérience professionnelle, en dérive un plus grand optimisme ou pessimisme sur le passé et sur l'avenir. On notera d'abord qu'un souhait inégal de s'attarder sur ses « origines », surtout lorsqu'elles sont variées et inattendues, correspond déjà à un besoin de s'affranchir de l'assignation dérivant de la couleur de peau, réduction qui est naturellement en elle-même un stigmate. Il conviendra aussi de distinguer les personnes dont la vocation des professions du spectacle avait été précoce, et donc la formation orientée dès un jeune âge, de celles qui en ont fait la première expérience comme reconversion. En outre, certaines personnalités sont plus inclines à doubler leur activité d'un militantisme visant à l'action positive (expression qui néanmoins n'est jamais expressément mentionnée), alors que d'autres n'aspirent qu'à la « banalisation », c'est-à-dire à ce que leur couleur de peau devienne un facteur invisible ou insignifiant dans la profession, aspiration qui constitue déjà une résistance sinon une lutte contre la discrimination. [Rappelons la belle définition de discrimination proposée par Esther Benbassa (dir.) (2010) : « Une disparité de traitement fondée sur un critère illégitime »]. Enfin, il est intéressant de distinguer les carrières uniquement françaises des parcours internationaux, qui offrent la comparaison en particulier avec le contexte professionnel nord-américain.
Contrairement à un essai, un ouvrage de ce genre est destiné à un ancrage dans le moment précis où il est composé ; espérons que sa péremption sera rapide et qu'il ne vaudra que de contre-exemple pour l'avenir.
Cit. :
« Je ne crois pas qu'il y ait une volonté affirmé de ne pas représenter toutes les catégories de femmes. J'observe plutôt l'absorption inconsciente d'une norme, d'une histoire coloniale qui façonne toujours nos esprits, trois générations après les luttes et guerres d'indépendance des pays anciennement colonisés. Il y a là un terrible impensé. […] Les décennies d'immigration des populations africaines ou asiatiques, ou de migration des ultramarins sont à opposer à l'image d'Épinal d'une France qui se vit souvent comme exclusivement blanche et ignore sa part de métissage, tant dans les manuels scolaires que dans les fictions qu'elle produit. Mensonge ou déni, le résultat est le même. Des franges entières de la population se sentent exclues ou méprisées. » (Aïssa Maïga, Prologue, p. 10)
« Je n'appartiens pas à la diversité, c'est la diversité qui est en moi puisque je suis une comédienne. Noire n'est pas un rôle. Noire n'est pas un métier non plus. […]
Au regard de ce qui se passe dans nos maisons, dans la rue, dans les transports, au parc, la crédibilité artistique de nos films est entachée d'un fort anachronisme, avec des personnages qui se ressemblent tous, aux cheveux lisses, au phrasé identique, monochromes, donnant toute valeur au déni et à la négation de notre société, dans laquelle heureusement nos amours mêlent nos sangs sans fin. » (Rachel Khan, « Sans entendre aucun bruit, pp. 54-55)
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