Grandiose, se mérite. Une écriture exigeante qui demande une lecture attentive... J'ai éprouvé quelques difficultés à avancer car le climat de ce livre est grave, austère, il faut s'y plonger vraiment pour saisir le miracle qui peut en naître ou complètement échapper. Une fois lancée, la lecture est magique, elle nous fait partir dans un ailleurs où l'Autre, la nature, sont "sublimés", respectés profondément.
Car il s'agit d'un véritable projet d'élaboration du sacré.
8 portraits de petites vies-étoiles qui ont scintillé dans la vie du narrateur.
Son projet d'écriture ? : rendre ces vies légendaires.
L'auteur s'exprime à ce sujet dans une interview sur le site des éditions Verdier :
"
Vous avez écrit, à propos de ceux qui n’auront jamais de « nom », « Tous ces hommes méritent ici un chapitre ».
Je pense à l’instant à ma grand-mère, Élise, qui était l’innocence en personne. Il est scandaleux que cette innocence soit morte et inconnue. Peut-être, mettre cette innocence, la faillite de cette innocence, la disparition sans trace de cette innocence, et l’indignation, l’émoi, le bouleversement que m’en donne le souvenir, dans une prose de fer, peut-être que c’est ça, mon devoir d’écriture."
Pourquoi l’abbé Bandy, Watteau, le facteur, Rimbaud ? Pourquoi le choix de tel personnage ?
"Je n’ai pas vraiment choisi les personnages des Vies minuscules : je n’ai fait que prendre, sans beaucoup d’hésitation, dans ma propre biographie les quelques figures qui avaient une vocation au légendaire ; ceux, dans ma lignée par la chair ou l’esprit, que j’avais vécus comme des paradigmes.
… Dans les Vies minuscules, il fallait transporter d’humbles noms dans la catégorie du légendaire, transformer les noms communs en noms propres – et l’anonymat en nom glorieux."
Entretien avec Tristan Hordé (extraits)
http://www.editions-verdier.fr/v3/pg-michon_entretien3.html
La "Vie du Père Foucault" est très émouvante : un homme atteint d'un cancer ne pourrait être soigné que s'il acceptait de se rendre à Paris. Mais il refuse à chaque demande des médecins. Nul ne comprend sa résignation. Jusqu'à ce que sa raison éclate : "je suis illettré" dit-il. Plutôt mourir que d'être humilié.
La "Vie de Georges Bandy", celle d'un prêtre à moto, séduisant qui finira renversé dans un pré au retour d'une cuite. Sa mort hypothétique est racontée en deux pages splendides (p : 212 et 213).
un extrait d'interview sur le site du Matricule des anges :
Pierre Michon, vous parlez de l'écriture comme d'une grâce. De la grâce à l'inspiration il n'y a qu'un pas...
Oui, un texte ne peut que me sembler dicté. Je m'installe à mon bureau tous les matins pour être prêt à recevoir le texte. Je ne crois pas du tout à l'inspiration, mais je m'y fie, et je m'y fie parce que ça marche. Finalement je n'ai rien contre la théorie de l'inspiration. Il faut seulement être très vigilant au niveau du sens, il faut que l'être moral reste éveillé, attentif, mais il faut se laisser guider par l'émotion. La réussite c'est l'équilibre entre la vigilance et l'émotion.
En tout cas, il ne faut pas que l'écriture soit un travail. Je n'ai jamais voulu travailler.
http://www.lmda.net/mat/MAT00504.html
extraits d'un portrait sur Lire.fr :
En 1984, Pierre Michon crée l'événement en publiant Vies minuscules. Il a 37 ans; il n'est rien, il ne possède rien, il veut tout et joue sa vie. Tout le monde tombe d'accord: ces huit vies dont la succession dessine en creux le visage hâve et farouche du narrateur, sont un chef-d'œuvre. Dans une langue où chaque mot sonne et tonne, Pierre Michon enlumine, exécute, pleure et transfigure les pauvres bougres admirables qui lui tinrent lieu de passé.
Depuis, ce barbare au phrasé princier, au tumulte épuré, a publié huit livres. Concis et âpres, chatoyants comme galets dans l'eau froide. Qu'il écrive sur les peintres (Vie de Joseph Roulin, Le roi du bois, Maîtres et serviteurs), les écrivains (Rimbaud le fils, Trois auteurs) ou s'exerce à la création pure (Mythologies d'hiver, La Grande Beune), Pierre Michon exige de lui-même la perfection. Avec un mélange d'orgueil et de désarroi assez spectaculaire. Une façon unique de magnifier les vies bousillées et de revisiter les mythes. Il y a du Faulkner là-dedans, du Jean Genet aussi.
http://www.lire.fr/portrait.asp/idC=35190/idTC=5/idR=201/idG=
Corinne Desarzens, Tribune de Genève, 3 juin 1997 :
"Vos mains tremblent parce que c’est rare de tomber sur des récits aussi concentrés, avec tant de copeaux par terre, tant de combat avec le silence, tant de vertiges partagés. Michon nomme les gens anonymes, pour qu’ils soient. Pour qu’un peu de leur vérité mortelle palpite encore dans « l’hiver impeccable des livres »."
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