La quantité de bavardage de ce livre est presque parvenue à me persuader que les neurosciences n'ont guère avancé dans leur compréhension de la musique depuis le fameux Musicophilia d'Oliver Sacks, que je n'avais pas beaucoup apprécié non plus. Les questions dont la réponse est promise dans la quatrième de couverture : « Pourquoi prenons-nous plaisir à écouter de la musique ? Comment reconnaît-on instinctivement [sic!] l'air d'une chanson ? Qu'est-ce que l'oreille absolue ? » n'ont hélas pas été traitées systématiquement, les réponses sont sont ambiguës et décevantes.
Je retiens ceci – qui aurait pu occuper la moitié des pages de l'essai, en élaguant l'anecdotique et les innombrables références à la pop, rock, jazz, heavy metal, etc. et même les quelques-unes aux œuvres de musique dite classique (on aurait d'ailleurs bien aimé savoir pourquoi « classique »... ou ce qui la caractérise) :
a) Les deux premiers chapitres concernent opportunément les composantes d'une définition technique de la musique, à savoir respectivement la hauteur tonale et le timbre, et (2) le rythme, le volume, l'harmonie [et le tempo] ;
b) Du ch. 3, je retiens la multiplicité des aires cérébrales concernées par l'écoute et par la production et, du point de vue de la psyché au-delà du physiologique, la théorie selon laquelle la perception musicale consiste d'abord dans la création, par le cerveau, d'une illusion de structure unitaire qui réunit des sons isolés, à certaines conditions harmoniques et rythmiques : un processus neuronal apparenté avec celui du langage ;
c) Du ch. 4, « L'anticipation » : par conséquent, l'appréciation du morceau musical consiste[rait] principalement dans la capacité d'anticipation de la suite de la mélodie, à tout moment, notamment en fonction de l'expérience personnelle antérieure, surtout pré-adulte, infantile voire pré-natale : comme une sorte de répertoire de phrases musicales apprises dans son jeune âge, auquel puiser ;
d) Ainsi, les goûts musicaux sont [seraient] surtout affaire de mémoire, et il est question, dans le ch. 5, de théories neurologiques de la mémoire : « archivistes » vs. « constructivistes », et enfin du modèle, retenu, de « mémoire à traces multiples ». Ici intervient aussi brièvement la question de l'oreille absolue, mais je n'ai pas appris si elle est conçue comme étant innée et/ou génétique (?) ou culturelle (par rapport au système tonal de notre environnement musical), développable, éventuellement par quel moyen... ?
e) Du ch. 6, j'ai appris que les émotions provoquées par la musique sont [seraient] surtout liées au cervelet (ou cerveau reptilien), qui préside au mouvement et au rythme. Cette hypothèse est malheureusement insuffisamment étayée ;
f) Du ch. 7, je retiens la minimisation et surtout l'historicisation de la vision du talent musical qui est la nôtre : celui-ci serait beaucoup plus répandu que l'on a l'habitude de croire, et surtout « l'expertise » du musicien et celle du compositeur seraient absolument comparables à toute autre expertise : une question d'environ dix mille heures d'entraînement (soit 20h par semaine pendant dix ans), dont même Mozart ne ferait exception... [à se demander combien parmi nous possèdent une éventuelle « expertise ès lecture » !]
g) Du ch. 8, qui revient sur la question de nos compositions préférées, je retiens une sorte de dialectique entre la notion d' « anticipation » (ch. 4) et celle, ici introduite, de « violation » : en somme l'on doit pouvoir à la fois reconnaître la structure de la mélodie et en être surpris, notamment par une certaine dose de complexité [sinon on se contente de Frère Jacques, hein ?], mais sans que celle-ci nous rebute [qui a donc nommé Brahms?!], complexité dont l'appréciation dépend de la personne et de son âge, entre autres paramètres.
h) Enfin du ch. 9, « L'instinct musical », qui a tout pour me séduire puisqu'il prend en considération le point de vue évolutionniste, je retiens la suggestion de Miller que la musique est le résultat phylogénétique de la sélection sexuelle – notamment par son association à la danse (cf. ch. 6), à la fonction de socialisation, et à la mobilisation d'aptitudes cognitives parallèles avec celles requises par le langage. Cette théorie est présentée à l'encontre de celle de Steven Pinker, le spécialiste de l'évolution du langage, selon laquelle la musique ne serait qu'un sous-produit du développement de celui-ci justement.
Cit. :
« On peut donc envisager la musique comme une sorte d'illusion perceptuelle créée par notre cerveau, qui impose ordre et structure à une séquence de sons. Comment et pourquoi cette structure suscite en nous des émotions, c'est l'un des mystères de la musique. » (p. 141)
« Comment le modèle de mémoire à traces multiples [Hintzman & Goldinger] explique-t-il que nous extrayions certaines propriétés invariables des mélodies que nous écoutons ? Quand nous prêtons attention à la musique, nous effectuons des calculs : en plus d'enregistrer les valeurs absolues – des détails comme la hauteur tonale, le rythme, le tempo et le timbre –, nous analysons les intervalles mélodiques et les informations rythmiques indépendamment du tempo. » (p. 208)
« C'est à travers la violation systématique de nos attentes que la musique nous procure des émotions. Ces violations peuvent survenir dans n'importe quel domaine : hauteur tonale, timbre, contour, rythme, tempo, etc., mais elles doivent survenir. La musique a beau être du son organisé, cette organisation doit laisser place à une part de surprise, sans quoi elle serait plate et automatique. » (p. 217)
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