Celle, fidèle…
Les femmes trentenaires abonnées au Centre d’aide sociale de Copenhague ressembleraient à des sirènes échouées si elles ne cultivaient leur look et leur mépris des contingences. En attendant dans le hall d’accueil avec l’espoir de siphonner quelques allocations indues, elles peuvent se reconnaître entre elles et sympathiser. Il y aura Denise, Michelle et Jazmine, un trio né telle une génération spontanée, doté des mêmes goûts vestimentaires, de centres d’intérêts similaires qui pourraient se résumer à comment jouir de la vie sans se décarcasser ou encore comment palper de la braise sans suer sous le burnous ? L’assistante sociale qui les reçoit, Anne-Line Svendsen, n’en peut plus d’être ballotée dans un système social incompréhensible et d’être sans cesse déconsidérée. L’appauvrissement intellectuel des assistées et leurs appétits insatiables en bling-bling l’exaspèrent jusqu’à un point qui s’avère être de non-retour quand elle se sait atteinte d’une tumeur cancéreuse. Avant de sombrer définitivement, Anne-Line, en bonne ménagère zélée, décide de débarrasser le pays de cette lie parasite et irrécupérable avec une voiture bélier.
Dans sa 7e enquête du Département V, Jussi Adler Olsen va désorienter le lecteur en jouant sur les capacités de nuisance de chacun sans savoir lequel prendra le dessus. Entre un cold case qui obsède encore Marcus Jacobsen, chef retraité de la brigade criminelle et le meurtre récent de Rigmor Zimmerman, la grand-mère de Denise, leader du trio de bimbos, le même mode opératoire relie les deux assassinats. Carl Mørck va s’échiner, avec son coéquipier Hafez El-Assad, à dénouer le nœud gordien d’affaires enchevêtrées et délétères d’autant que Rose Knudsen, secrétaire du département et limier exceptionnel est gagnée par la folie. Rose disparaît des radars et sème le désarroi chez ses proches dont Carl, Assad et Gordon, dernière recrue énamourée du groupe. Entre le passé mortifère et la culpabilité de Rose, l’avenir semble maintenant inconcevable. Entre la serial killer en route pour éliminer les assistées sociales et le hold-up d’une boîte de nuit orchestré par ces mêmes jeunes femmes, la trajectoire est oscillante et incertaine. Entre les tracasseries administratives et la voracité voyeuriste d’une équipe de télévision, le présent du Département V semble plombé. Qui va être en mesure d’exercer pleinement son pouvoir de nuisance ? Le cas échéant, qui trouvera les ressources en lui pour ne pas se livrer pieds et poings liés à la barbarie ? L’auteur orchestre superbement le monde gangrené qu’il a créé, en multipliant par exemple les focales autour d’un même événement, mettant à mal ses personnages, les tourmentant à l’extrême et par la même, en les brûlant, les soudant et les portant de la catharsis à la transcendance. Selfie d’elle, un ange passe…
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