Quand on entame aujourd'hui la lecture de ce best-seller, on a tous en tête le film de Sydney Pollack "Out of Africa" avec Meryl Streep et Robert Redford dans les rôles de Karen Blixen et de Denys Finch Hatton, respectivement. On s'aperçoit rapidement que la construction du livre s'éloigne sensiblement de celle du livre. Ainsi, la relation entre Karen et Denys qui est au centre du film, n'occupe qu'une toute petite partie du livre. La construction du livre peut surprendre car, si l'on met à part la dernière partie, intitulée "Adieux", qui elle, suit à peu près l'ordre chronologique jusqu'au jour où Karen quitte définitivement sa ferme et l'Afrique, tout le reste (c'est-à-dire plus des cinq sixièmes du livre) se dispense d'ordre chronologique : Karen Blixen laisse libre court, en ordre dispersé, à ses souvenirs et aux impressions qu'elle a gardés de son séjour de 17 ans au Kenya (arrivée en janvier 1914, elle quittera définitivement sa ferme en juillet 1931), seule à la tête d'une ferme sur laquelle vivent des dizaines de noirs (majoritairement de l'ethnie Kikuyus) avec leurs famille, tout près des ombrageux Masaï, et encadrés par les fiers Somalis, de religion musulmane. A part certains épisodes qui se déroulent "pendant la guerre", il est difficile de trouver quelques éléments qui permettrait de dater ou seulement d'ordonner les événements qu'elle décrit. Son mari, le baron Bror von Blixen-Finecke, qu'elle a épousé le jour où elle a posé le pied en Afrique et dont elle divorcera onze ans plus tard en 1925, est complètement absent de ce livre. On ne saura rien non plus de la façon dont s'est nouée sa relation avec Denys, ni de la nature exacte de cette relation. Le livre les décrit comme amis très proches mais jamais explicitement comme amants. En revanche le livre est plus prolixe au sujet de ses relations, de ses sentiments avec l'Afrique et les africains. Le livre fourmille de détails sur la cohabitation entre elle et ses fermiers ou serviteurs noirs, sur la découverte que l'une fait du mode de vie des autres et réciproquement.
Là est le véritable intérêt du livre à mes yeux : si Karen Blixen nous montre son étonnement devant certaines coutumes, certains partis-pris des africains, elle n'oublie jamais que les africains sont eux aussi interloqués par certains de ses comportements et jamais (ou du moins très rarement) elle ne place ses conceptions comme supérieures à celles de ses fermiers ou de ses serviteurs africains. Elle pense qu'elle peut apprendre d'eux comme eux peuvent apprendre d'elle. Elle sera visiblement très respectée, voire adorée par eux et son départ sera un déchirement pour elle et pour eux. Le récit de ce départ et du terrible accident qui l'a précédé sont des pages particulièrement émouvantes.
Ce fut pour moi une lecture très attachante, à la fois pour tout ce qu'elle raconte de l'Afrique et de la colonisation et pour tout ce que son auteur a tu, par pudeur et aussi pour garder la tête haute face à l'adversité. C'est une œuvre magnifique d'une femme courageuse, résiliente et profondément humaine.
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