[On marche sur la dette | Christophe Alévêque - Vincent Glenn]
Qui a dit qu'un essai sur l'un des thèmes les plus controversés de l'actualité politico-économique, des plus abscons aussi, à savoir la dette publique, doit être traité avec gravité ? Ce petit livre n'est pas un pamphlet ; il ne défend aucune thèse politicienne, sinon que la citoyenneté impose la compréhension d'un phénomène que les puissances financières rendent délibérément opaque, « magmatique », parce que c'est dans le secret et l'incompréhension – et l'idéologie contenue dans les idées reçues – que réside justement le pouvoir. Pourtant, du début à la fin, son style est celui d'un livre humoristique : gageure extrême que de fournir des explications parfois non dépourvues d'un certain technicisme – ex. le fonctionnement de la BCE, le FACTA et le « Quantitative easing » - sans jamais se départir de la facétie et d'un langage familier voire presque argotique.
La principale découverte ? Une vérité toujours dissimulée :
« Si l'on regarde les chiffres, sur lesquels tout le monde s'accordera, de droite à gauche et de gauche à droite, il apparaît comme le nez au milieu de la figure de Cyrano que les dépenses de l'Etat n'ont pas augmenté, mais que ce sont les recettes qui ont baissé. Nous pensions qu'on avait dépensé sans compter et que l'on s'était gavé pendant toutes ces années.
Alors quoi ?
La réponse est du côté des cadeaux, niches et évasions, le tout étant fiscal. Pour l'essentiel... » (p. 117)
L'on se réjouira aussi d'une mise en perspective historique qui nous révèle des formidables précédents de crises de la dette porteurs parfois de jolies catastrophes : à Athènes au VIème s., par ex., où Solon décide d'acter la « sisachtie », abolition des dettes des paysans, prélude d'une certaine conception de gouvernement que l'on nommera la démocratie, ou bien en 1783, lorsque Louis XVI, « tout fiérot » d'avoir consacré 80 % de son budget au soutien naval de l'indépendance américaine, ne voit pas vraiment venir un certain mouvement contestataire dans son pays, ou bien, mais là c'est plutôt pour le pire, lorsque le chancelier Heinrich Brüning, en 1930, applique une très brutale cure d'austérité, de stabilité monétaire et de grande déflation (tiens, tiens...) qui provoquera la victoire aux élections de 1933 d'un certain petit bonhomme moustachu.
Trois sont les fondements de la dette, comme la Sainte Trinité qui inspira à Monsieur Guy Abeille, un soir de juin 1981, le dogme du 3 % du PIB : la peur, la culpabilité, la croyance (surtout en allemand où « dette » se dit « Schuld » comme « coupable »). Une fois que l'on se libère de cette trilogie mortifère, l'on peut avoir une panoplie, tripartie aussi, de solutions à la dette : 1) l'austérité outrancière (alias la récession-déflation), 2) la répudiation, 3) l'assainissement du capital, à son tour déclinable en un triplet : i) séparation des banques de dépôt des banques d'investissement, ii) la suppression par traité des paradis fiscaux, iii) la taxation des transactions financières. Mesures bien connues. Fétichisme du nombre trois.
L'épilogue, daté mars 2016, revient notamment sur les enseignements (non) tirés de la crise grecque.
Incipit :
« Quel est le pays le plus endetté du monde ? //
Les États-Unis d'Amérique. //
Quelle est la seule superpuissance au monde ? //
Les États-Unis d'Amérique. /
Vous pouvez commencer la lecture de ce livre en paix. »
Excipit (avant l'Epilogue) :
« On vous propose, avant de finir, de cocher une des cases suivantes, et de la renvoyer à l'éditeur afin qu'on ait un retour concret :
Je trouve la solution de l'austérité formidable.
J'ai une nette préférence pour la répudiation.
Taxer le capital correspond bien à mes envies de base.
J'ai toujours rien compris, alors je m'en fous.
J'ai compris, la solution, c'est sauter du 8e...
Encore un complot ourdi par les Juifs et les islamistes.
Non, en fait, on s'est gourés, c'est un truc de cathos et de communistes.
Vive l'anarcho-syndicalisme !
On va y arriver...
Toi-même ! »
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