Aigre Eiger
Jonathan Hemlock vit seul dans sa tour d’ivoire de Long Island, une église désaffectée qu’il a réhabilitée à grands frais, la métamorphosant en loft cosy, la meublant de toiles impressionnistes réservées à son usage exclusif. Il a beau enseigner avec brio l’art à l’université américaine, donner des conférences prisées, rédiger des articles pour des revues spécialisées prestigieuses, son train de vie dépasse amplement ses rentrées légales d’argent. Esthète éclairé, alpiniste accompli, séducteur détaché, Hemlock est sans illusion sur les hommes et la marche du monde. Afin d’arrondir son pécule pour assouvir sa fringale de peintures de maîtres, il travaille sous contrat pour le compte d’une agence gouvernementale occulte, le CII. Il devient ainsi occasionnellement assassin d’assassin, infligeant une « sanction » aux meurtriers d’agents appartenant à l’organisation secrète.
Il aimerait raccrocher, que son dossier soit classé parmi les « inactifs » mais pour Dragon, la patron albinos de l’agence, il est le seul à pouvoir infliger la sanction à l’exécuteur d’un employé de la CII car l’assassin présumé, non encore formellement identifié, doit participer à l’ascension de l’Eiger par la face nord, sommet mythique des Alpes de l’Oberland bernois entachés de tragédies. Avec ses capacités d’alpiniste, Hemlock semble être le seul en mesure de faire respecter la loi du talion de la CII. Hemlock a beau tergiverser, biaiser, argumenter, il va devoir se remettre en condition et opérer la sanction lors d’une ascension périlleuse. Parmi les trois autres alpinistes de la cordée, il ignore qui est l’homme à abattre et surtout s’il sera en mesure de remplir son contrat d’autant que des rapports profonds vont unir les hommes confrontés à la démesure dantesque de la montagne.
Le roman de Trevanian, très cinématographique, ne pouvait que séduire la misanthropie médiatisée de Clint Eastwood qui l’adaptera au cinéma en 1975 et auquel Trevanian participera en tant que coscénariste, sous son vrai nom, Rodney William Whitaker. D’une écriture vive, au tempo dynamique, le récit déroule une double traque, celle d’Hemlock envers Miles Mellough, commanditaire de l’assassinat de son ami basque et celle de l’alpiniste à qui doit être appliquée la sanction. Si le comportement d’Hemlock peut agacer, les préjugés de Trevanian étonnent aujourd’hui et peuvent légitimement agacer quand il écrit par exemple que le peuple allemand mérite une bonne fessée ou quand il fustige outrageusement à maintes reprises la vénalité des Suisses. L’ascension proprement dite n’occupe qu’une quarantaine de pages mais elle est prenante. Les descriptions sont précises, évocatrices et montrent une bonne connaissance par l’auteur de la haute montagne. En fin de course, le lecteur reste songeur face à l’accumulation des ratés, des à-peu-près, des non-dits qui cantonnent les hommes dans une solitude monolithique sur laquelle aucune concession et nulle compassion ne peuvent s’accrocher.
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