« Tiré de son lit, achevé et défenestré ».
La date du 24 août 1572, jour de la Saint-Barthélemy, s’inscrit en lettres de sang dans l’histoire française à travers un déferlement de haine absolue, de violences effrénées, de massacres impensables sous couvert d’idéologie funeste. Matthias Tannhauser, chevalier de l’Ordre de Jérusalem, guerrier survivant du siège de l’île de Malte sept années auparavant, franchit les portes de Paris la veille du déclenchement de la guerre civile intra muros. Sa seule motivation consiste à retrouver sa femme Carla, enceinte, invitée en tant que musicienne à la Cour du roi. Dans une ville sale, puante, grouillante, enchevêtrée et non cadastrée où fermentent les envies et les frustrations dans un climat de suspicion exacerbée, il n’est pas aisé de trouver le chemin céleste vers la bonne âme, la tendre mie, la douce chair.
Alors que l’entame de « La Religion », premier opus d’une trilogie annoncée, agissait en repoussoir avec l’enlèvement sanglant du jeune Matthias, futur janissaire dans l’armée turque de Soliman le Magnifique, l’introduction aux « Douze enfants de Paris » est presque bienveillante envers le lecteur. Une carte d’époque, frémissante et organique, situe et précise le chaudron parisien tout veiné de ruelles embrouillées, d’enceintes asphyxiantes, de fleuve mouvementé. Le héros traverse à cheval un pays ravagé et dangereux. La capitale atteinte est l’épicentre d’une furia qui couve. Tannhauser est tout de suite immergé dans un « égout à ciel ouvert ». Prostitution, corruption, brutalité sautent immédiatement aux yeux d’un homme pourtant aguerri. Cherchant une écurie, il tombe sur Grégoire, enfant d’une dizaine d’années, aux lèvres et à la mâchoire difformes, silencieux sous les coups qui l’entaillent. Le secourant immédiatement, Tannhauser s’en fait un laquais dévoué et un guide efficace. Les déambulations peuvent débuter et l’histoire, grotesque, de feu et de sang, commencer. Tannhauser s’est rendu au collège d’Harcourt, rive gauche, an vain, afin de dénicher Orlandu, le fils de Carla puis au Louvre dans l’espoir d’y trouver sa femme mais rien ne vient naturellement, même la mort. Tannhauser sait en découdre avec l’ennemi mais la vindicte populaire aiguisée par les puissants est telle qu’une escarbille peut incendier l’étoupe de la haine à chaque coin de rue. Mieux vaut économiser ses forces, contrôler son souffle et contenir ses démons. Tannhauser repart dans l’épouvante parisienne de la Saint-Barthélémy, lesté d’Orlandu, gravement blessé, inconscient. Pendant ce temps, la maison d’hôte où se trouve Carla est assiégée par une bande de gueux dirigée par un colosse, Grymonde. Tout vole en éclat, la porte d’entrée de l’hôtel d’Aubray, rue du Temple, les chiens enflammés de poix, les cris suffocants, la vie.
La force du roman de Tim Willocks se niche dans son pouvoir évocateur capable de ressusciter une ville grouillante, vivante, exacerbée, dans ses polyphonies et ses désaccords. La trame est simple. Un homme cherche sa femme dans le chaos. Les fardeaux s’amoncellent sur lui. Un mystérieux commanditaire veut faire disparaître Carla. Tannhauser est le jouet de courants politiques souterrains. Sa marche funèbre ne peut qu’être jonchée de morts et d’atrocités. Tim Willocks rend crédible toute escarmouche, estafilade, éventration. La dague suit les tendons et crisse sur les os. Le lecteur ne peut qu’encaisser des coups hyperréalistes. Dans cette frénésie de vie et de mort, dans l’absurdité criante et la méchanceté débridée, le roman dévide son écheveau tragique et stupéfie le lecteur hagard qui cherche la force de sortir du cloaque et de continuer à croire en la vie.
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