C'est un livre très singulier et très subtil que nous donne à lire Jean-Paul Kauffmann avec "La chambre noire de Longwood". Cette chambre est celle de Napoléon à Sainte-Hélène. L'auteur nous fait le récit du séjour qu'il a effectué sur cette île dans les années 90, au bout d'un voyage de plusieurs jours en bateau, le seul moyen de s'y rendre à cette époque. Chacun des neuf chapitres correspond à une journée de ce séjour. On le suivra ainsi presque pas à pas sur ce "caillou" perdu dans l'Atlantique Sud, île-prison d'où toute tentative d'évasion était impensable (même si JPK nous raconte qu'un prisonnier, un hollandais, réussit à s'en échapper à la fin du siècle dernier). Les découvertes sur place de l'auteur s'enrichissent des récits qu'ont fait les principaux témoins de la captivité de l'Empereur, qu'il s'agisse de ses aides de camps, de ses domestiques ou bien de ses geôliers anglais. Pour éclairer la déchéance de Napoléon et ses états d'âmes, l'auteur remonte à l'histoire de la campagne de Russie et notamment la bataille d'Eylau qui a ses yeux constitue le tournant de cette épopée - cette bataille où le "Colonel Chabert" de Balzac fut laissé pour mort après la charge héroïque de son bataillon de cavalerie. JPK est aussi très attentif à tous les détails qui permettent de faire resurgir le passé : tableaux, paysages, flore, odeurs, lumières ... tout est convoqué dans ce travail de mémoire. L'auteur rencontre aussi sur place les "gardiens du temple" : le consul de France à Sainte-Hélène ainsi que son père, ancien consul et personnage très singulier, ainsi que l'actuel gouverneur (anglais) de l'île. L'auteur trace du père de l'actuel consul un portrait saisissant, qui pourrait aisément figurer dans un roman de Balzac. Enfin JPK fait aussi la connaissance sur cette île de deux touristes anglaises assez âgées, qu'il croise à plusieurs reprises au cours de ses pérégrinations et les brefs dialogues entre elles pourraient cette fois être tirés d'un roman d'Agatha Christie.
Ce livre est pour moi une totale réussite en mêlant tout-à-la fois livre d'histoire, récit de voyage, leçon d'observation et petit traité (involontaire) de sagesse. Sensibilité, acuité du regard, modestie et intelligence se conjuguent ici de façon idéale. Encore merci M. Kauffmann !
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