« Dante d’une époque déchue ».
Fort du succès de l’émission radiophonique sur France Inter et des ventes livresques afférentes, le docte Antoine Compagnon aura intelligemment occupé une partie de l’été 2012 à parler de Montaigne puis en 2013 de Proust et en 2014 de Baudelaire, notre semblable, notre frère.
Le petit livre du professeur au Collège de France est réjouissant car il secoue les poncifs et les approximations qui collent aux ailes de géant du poète. Trente-trois courts chapitres de quatre pages formatés balaient la vie et l’œuvre d’un homme englué dans son siècle, pétri de turpitudes mais prompt à en extraire des clartés sidérales. Antoine Compagnon pose son propos dans l’introduction intitulée « C’était hier l’été ». Baudelaire est l’homme des couchants, du crépuscule. Il est casanier hormis un long voyage aux Indes imposé et détourné à l’île Maurice pour un retour anticipé à Paris, la tête illuminée en cours de route par un idéal de vie pressenti dans les parfums et l’indolence, la liberté et la beauté des corps. Baudelaire n’était pas un homme affable. Certaines de ses idées arrêtées, aujourd’hui hors de leur contexte social, peuvent paraître déplacées et indignes d’une telle intelligence. Sa poésie néanmoins demeure et elle touche durablement le lecteur contemporain. Il est probable qu’elle franchisse les siècles sans même être favorisée par « un grand aquilon ». L’œuvre se suffit à elle-même. Antoine Compagnon a conçu ses interventions sur les ondes en ancrant Baudelaire dans son siècle. Bien qu’il cite régulièrement des fragments des « Fleurs du mal » ou du « Spleen de Paris », le professeur ne donne pas un cours de prosodie. Le premier chapitre, « Mme Aupick », s’ouvre avec un extrait d’un superbe et rare poème sans titre puis brosse à grands traits les relations entre Baudelaire et sa mère. Viennent ensuite les thèmes et sources baudelairiens récurrents, la mer, le spleen, le miroir, Paris, les femmes, la photographie, etc. Le petit livre avec sa couverture rouge à rabat a d’agréables vertus apéritives. Il donne envie d’aller fureter dans l’œuvre roborative, éparse et fragmentaire d’un des dandys des lettres qui a su, magicien vaudou, réveiller les mots.
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