Hors des écoles et des dogmes, l’œuvre de Kenneth White s’exprime à travers des relations de voyage, de la poésie et des essais, dans des tonalités différentes mais sur un socle commun d’où émergent des constantes liées au nomadisme intellectuel et à la géopoétique, concepts chers à l’écrivain franco-écossais. Le pèlerinage européen de Kenneth White est enthousiasmant dès les premières lignes avec un ancrage à Glasgow, ville natale, située sous le tropique de Saturne, parallèle imaginaire nimbée d’une mélancolie erratique. L’auteur en verve mêle adroitement les choses vues, les souvenirs, l’histoire familiale et locale sur un ton vif où l’humour pointe. Si les prémices d’une œuvre à venir se laissent deviner en filigrane, une ambition intellectuelle est définitivement posée depuis la côté écossaise : « Une œuvre radicale dans ses principes et océanique dans son envergure, sinon rien ». Le voyage commence par Munich où l’auteur a séjourné dans sa jeunesse, imprégné alors qu’il était par le nihilisme de Nietzsche et de Dostoïevski. Vint Brussels et l’étude de la carte de Guido datant du XIIe siècle et conservée à l’Albertine, la Bibliothèque royale de Bruxelles. Le manuscrit de Guido Pisanus, assemblage hétéroclite de cosmographie, géographie, toponymie et histoire accapare Kenneth White « toqué » de cartes topographiques. Ce chapitre est particulièrement intéressant. Le lecteur devine les déambulations affectives de l’auteur, de café en conversations, de bibliothèque en études, sur les traces laissées par des prédécesseurs glorieux et quasi oubliés, Erasme, Verlaine, les bibliographes visionnaires Paul Otlet et Henri La Fontaine au Mundaneum, un cercle confidentiel de poètes belges. Les chapitres suivants vont continuer à s’ajuster avec bonheur, en Cornouaille avec la vision cosmique de Thomas Hardy notamment dans son roman « Loin de la foule déchaînée », en Irlande avec son héron cendré sous la pluie grise, à Bilbao avec son industrie culturelle tournant à vide, en Galice sur le chemin de Saint-Jacques, dans la région cantabrique où les Picos de Europa délivre un « monde blanc, un chaos karstique riche en formes… d’origine océanique », à Venise avec John Ruskin, Marcel Proust, les mosaïques célestes de Torcello, Trieste avec James Joyce et Rilke, etc. Le cheminement continue dans les Balkans, en Scandinavie pour se clore en Ecosse. A touches légères, Kenneth White dresse une cartographie mentale et cosmique où la géographie physique et humaine porte trace d’influences littéraires, philosophiques, poétiques et magnétiques.
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